Sensibiliser aux violences en milieu festif, une démarche tout sauf aléatoire

Sensibiliser aux violences en milieu festif, une démarche tout sauf aléatoire

« Nous travaillons avec de nombreux collectifs et partenaires qui se revendiquent LGBTQI+ (Lesbiennes, Gays, Bisexuelles, Trans, Intersexes, Queer) et très investis, et c’est ainsi que nous avons commencé en 2018 à nous questionner sur ce sujet de société »

Pierre-Alain Etchegaray – (Cabaret Aléatoire)


Pierre-Alain Etchegaray est le directeur-fondateur du Cabaret Aléatoire à Marseille où il a initié une démarche de lutte contre les violences en milieu festif. Rencontre.

Bonjour, pouvez-vous commencer par vous présenter ?

Je suis Pierre-Alain Etchegaray. Je suis le directeur-fondateur du Cabaret Aléatoire à Marseille. C’est une salle de 1 100 places qui se situe à La Friche Belle de Mai créée en 2002. Nous sommes 7 salariés permanents auxquels se rajoutent des intermittents.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le Cabaret Aléatoire ?

C’est un lieu qui a donc été créé il y a 18 ans dans un entrepôt  d’une friche industrielle. À l’origine, c’était un lieu underground dédié aux musiques électroniques à partir de deux constats : à cette époque, ce genre de musiques se situait majoritairement à l’extérieur des villes, plutôt sous la forme de raves et il n’était possible d’écouter de la musique électronique que dans des boîtes de nuit. L’idée était de faire entrer la musique électronique dans Marseille et dans un lieu décalé. Nous nous sommes ensuite ouverts à d’autres esthétiques tout en gardant notre direction artistique : hip-hop, pop, rock…, mais aussi à l’art contemporain et aux installations, et nous nous sommes rapprochés du milieu des sports de glisse. À l’occasion de Marseille-Provence 2013, capitale européenne de la culture, nous avons créé le grand événement « This is (not) music » qui a duré 1 mois. Nous étions installés sur les 40 000 m2 de la Friche Belle de Mai (dont nous avons créé le rooftop à ce moment-là). Il y avait une exposition avec 200 pièces réalisées par des artistes internationaux et des concerts tous les jours. À la fin de cet événement, nous avons considéré que nous avions fait le tour des cultures de glisse et urbaines. En 2014, nous avons décidé de revenir à nos premières amours et aux raisons pour lesquelles nous avions créé le Cabaret Aléatoire. Cette même année, nous avons signé une convention SMAC tripartite avec l’État, la Région et la ville de Marseille. C’est un label donné par le Ministère de la Culture à des lieux en France qui respectent un cahier des charges (nombre de dates produites par an avec prise 

de risques, capacité du projet à développer une action culturelle auprès des habitants du quartier, à faire de la sensibilisation et à accompagner des artistes en termes de développement, de résidence et de création). Cela permet d’obtenir un financement sur 3 ans. Pour nous qui étions un lieu underground, c’était un grand changement puisque que nous sommes devenus plus « institutionnalisés » mais également une belle reconnaissance du travail accompli, avec une particularité unique en France : la revendication d’être un lieu dédié aux musiques électroniques.

Vous avez mis en place toute une démarche de lutte contre les violences au Cabaret Aléatoire. Pouvez-vous nous expliquer cela ?

Nous travaillons avec de nombreux collectifs et partenaires qui se revendiquent LGBTQI+ (Lesbiennes, Gays, Bisexuelles, Trans, Intersexes, Queer) et très investis, et c’est ainsi que nous avons commencé en 2018 à nous questionner sur ce sujet de société. Cette démarche n’était donc pas en réponse à un constat et à des retours négatifs du public ou des salariés de la salle. Nous avons été dès le début de cette démarche dans une logique d’échange et de partage d’expériences, pas forcément négatives d’ailleurs, avec notre public et nos salariés. Comme la presse locale s’est montrée intéressée par le sujet, nous avons même lancé une demande de témoignages publique. Nous avons ainsi pu récolter pas mal de matière. Nous avons ensuite construit et mis en place avec l’aide de deux intervenantes : Anaïs Bourdet, la créatrice de Paye ta schneck, et Elsa Miské, Formatrice en communication et co-fondatrice de Yesss podcast, des workshops, sortes de modules de formation, pour présenter les différents dispositifs existants en Europe et dans le monde à nos salariés et à notre service d’ordre afin de les sensibiliser et qu’ils puissent réfléchir avec nous à ce que nous voulions mettre en place. Nous avons créé des indices communs pour juger de la gravité des actes qui pouvaient avoir lieu dans notre salle, des mesures à prendre par la sécurité pour encadrer les victimes et gérer les agresseurs. Nous souhaitons maintenant que l’ensemble de nos positions apparaisse de manière très claire dans les contrats de nos salariés et de nos artistes. Notre volonté est d’affirmer que nous considérons comme très grave de ne pas se comporter de manière adéquate dans notre salle. Nous sommes encore en cours de réflexion mais il pourrait s’agir d’un règlement intérieur annexé aux contrats de travail. En parallèle, nous commençons à travailler sur une campagne de communication et de sensibilisation avec un message positif. Nous avons déjà affiché un petit texte dans la salle et pris position sur nos réseaux sociaux, mais nous voulons aller plus loin. Nous avons un festival mi-septembre et nous aimerions être en mesure de lancer notre campagne à ce moment-là. Compte-tenu de la situation actuelle, nous espérons que le lancement de la saison aura bien lieu et que nous pourrons le faire.

Vous soutenez l’une de vos salariées dans un programme de mentorat. Pouvez-vous nous expliquer cela ?

C’est la 1ère année que ce dispositif : WAH !, proposé et encadré par la FEDELIMA, se met en place et il n’y a donc pas encore de véritable recul. Le principe est que des professionnels du secteur partagent leur expérience avec des mentorés. Pour cette 1ère année, il y a douze binômes. Aurélie, notre salariée qui travaille au service communication du Cabaret Aléatoire, est donc accompagnée dans sa réflexion par une personne directrice d’une SMAC. Cela lui permet d’avoir un regard extérieur sur ces futurs choix de carrière au cours de sessions de travail avec sa mentore. Elle semble très satisfaite. Je ne sais pas encore si le dispositif sera reconduit, mais si c’est le cas et que d’autres de mes employés en éprouvent le besoin, je serais ravi de les soutenir dans leur démarche. 

Que pensez-vous de la campagne de lutte contre les violences en milieux festifs mis en place par « Ici c’est cool » ?

Je trouve très bien de lutter contre toutes les formes de discriminations : le sexisme, la LGBT phobie et le racisme. Plus il y aura de prises de parole et plus nous arriverons à faire bouger les choses. Pour avoir organisé les 1ères soirées gays et lesbiennes au Cabaret Aléatoire, je peux dire que même si cela ne va pas assez vite, le fait d’en parler et que les gens s’impliquent font que la situation évolue de façon positive. Nous avons aujourd’hui la volonté de partager notre expérience avec d’autres lieux de fête pour que cette lutte prenne de plus en plus d’ampleur, alors je reste optimiste quant au fait que les mentalités finissent par changer.

Propos recueillis par Fabienne Jacobson