Contre la culture du viol : la culture du consentement

Contre la culture du viol : la culture du consentement

« Ces stands de sensibilisation sont des espaces bienveillants, pédagogiques et inclusifs où nous revoyons ensemble les définitions d’agressions sexuelles, de harcèlement sexuel et de consentement. »

Mathilde Neuville – (Consentis)


Mathilde Neuville et Domitille Raveau sont deux fêtardes qui adorent la musique électronique. En 2018, pour lutter contre les comportements sexistes et les discriminations dans les lieux festifs, elles ont monté l’association Consentis. Rencontre avec Mathilde.

Bonjour Mathilde, pouvez-vous commencer par vous présenter ?

Je m’appelle Mathilde Neuville, j’ai 25 ans et j’ai grandi en Normandie. J’ai fait un Master en management de projets créatifs, culture et design entre l’école de commerce de Rennes et l’École des Beaux-Arts. C’est lors de ma dernière année de master, qu’avec Domitille Raveau, ma meilleure amie, nous avons cofondé Consentis.

Dans quel but l’association Consentis a-t-elle été créée ?

Étant toutes les deux passionnées de musique électronique, nous aimions beaucoup nous rendre, parfois plusieurs fois par semaine, dans des lieux festifs, à savoir des bars, des boîtes de nuit, et l’été, des festivals. C’est en voyageant et en ayant des expériences festives à l’étranger que nous nous sommes rendu compte à quel point il y avait des comportements sexistes et des discriminations dans les lieux festifs. Nous avons conscientisé le fait que nous avions constamment besoin de faire attention à notre sécurité et que nous n’étions pas toutes et tous égaux sur le dancefloor. Nous avons alors recherché une association qui faisait des campagnes de sensibilisation en milieu festif et nous n’en avons trouvé aucune qui était spécifique aux lieux festifs. Nous avons donc décidé de monter notre propre association basée sur la notion qui était, selon nous, la notion clé, à savoir le consentement. Nous souhaitons en effet développer une culture du consentement par opposition à la culture du viol.

Comment fonctionne Consentis ?

Nous avons monté l’association en février 2018. Avec Domitille, nous avions eu des mauvaises expériences, des expériences d’agressions sexuelles dans les lieux festifs et nous avions eu écho du fait que nous étions loin d’être les seules à subir de tels comportements. Nous avions l’impression que le problème était omniprésent mais qu’il était en même temps très difficile de quantifier qui était concerné et de comprendre le phénomène des violences sexuelles en milieu festif. Nous avons donc tout d’abord commencé par faire une étude quantitative. Elle a pris la forme d’un sondage que nous avons réalisé via les réseaux sociaux. Plus de 1030 personnes ont été sondées et ce sont les résultats de cette étude qui nous ont montré que plus d’une femme sur deux se sent en insécurité seule dans les lieux festifs, et y a été victime de violences sexuelles. Ces statistiques nous ont permis de créer la base de nos campagnes de sensibilisation, d’augmenter la prise de conscience, de pouvoir confirmer que c’était un réel problème et qu’il était nécessaire de mettre en place des mesures pour le contrer.

De combien de personnes se compose l’équipe ?

Consentis c’est maintenant 30 personnes bénévoles. Nous sommes vraiment passionnées par le projet. Nous nous sommes toujours plutôt concentrées sur la création de contenus plutôt que sur les recherches de financement, sur des idées de campagnes de sensibilisation, de matériel pédagogique plutôt que de subventions. Maintenant, nous avons plus de crédibilité grâce à notre expérience sur le terrain et nous commençons à arriver à débloquer des subventions. Notre objectif est vraiment de professionnaliser l’association. Nous avons envie de proposer des formations payantes aux professionnels du milieu festif et de donner des conférences pour pouvoir imaginer un modèle économique en plus des subventions et des dotations, et de pouvoir nous salarier, Domitille et moi-même.

Vos bénévoles reçoivent-ils des formations avant de rejoindre votre association ?

Nous envoyons aux personnes qui rejoignent Consentis une présentation de l’association. Avant notre activité qui s’appelle « sensibilisation in situ », à savoir nos stands de sensibilisation en milieu festif, nous donnons une formation où l’on explique comment utiliser le matériel pédagogique, comment faire pour engager la conversation. Nous refaisons également un point des définitions et des statistiques afin de préparer le dialogue sur le stand.

Quelles sont les actions que vous mettez en place ?

Dans nos solutions, nous encourageons les professionnels des milieux festifs à développer des politiques de sécurité : la formation du personnel, la mise en place de chartes internes et externes pour ces lieux. L’objectif est de créer des « Safer Spaces » (lieux sécurisés). Nous militons également pour des line-up plus inclusifs. Dans nos objectifs pour des soirées « safer », nous avons la conviction qu’il est nécessaire d’avoir aussi davantage de représentation de personnes minorisées à la fois dans l’équipe encadrante, mais aussi dans la programmation artistique. Je suis curatrice musicale professionnelle et avec Consentis, par exemple, nous faisons des playlists sur Spotify avec un but d’inclusivité.

Vous intervenez partout en France ou majoritairement à Paris ?

Nous sommes mobiles en France et l’objectif est aussi de développer une antenne à Berlin où je vis depuis quatre ans. Je travaille sur Consentis à distance et je rentre en France pour faire des conférences ou pour des évènements.

Avec quels types de structures travaillez-vous ?

Nous travaillons avec des festivals, avec le Conseil de la Nuit de Paris, des organisateurs de soirées, des collectifs… Nous touchons aussi également directement les fêtards et les fêtardes via nos stands de sensibilisation, que nous tenions avant la pandémie, au moins une fois par mois dans un événement festif. Nous y présentons nos outils pédagogiques, par exemple les résultats de l’étude que j’ai citée. Nous en avons fait un livret de coloriage, histoire de captiver l’attention des personnes qui viennent sur notre stand et que ce soit une activité qui leur permette d’avoir du cerveau disponible pour discuter sur les statistiques et revoir ensemble les différentes définitions. Ces stands de sensibilisation sont des espaces bienveillants, pédagogiques et inclusifs où nous revoyons ensemble les définitions d’agressions sexuelles, de harcèlement sexuel et de consentement.

Quel accueil recevez-vous sur vos actions ?

Quand nous avons créé Consentis, nous appréhendions d’avoir plus de confrontations, plus de personnes qui soient étanches à notre projet. En réalité, nous n’avons eu jusqu’à présent que des retours positifs et encourageants. Il nous est arrivé d’avoir des personnes sceptiques qui viennent sur notre stand avec des propos misogynes et sexistes du genre « Il y a des femmes qui sont des allumeuses », « Il y en a qui l’ont bien cherché », etc. Nous entendons donc encore ces propos qui contribuent à la culture du viol jusque sur nos stands, mais nous sommes justement là pour déconstruire ces pensées avec pédagogie. Et le plus souvent, nous arrivons à planter les petites graines du consentement sans rentrer dans un conflit.

Vous auriez dû être présentes sur Solidays cette année, quels sont les autres événements auxquels vous avez pu participer jusqu’à présent ?

Nous avons travaillé sur la charte externe des Nuits Sonores et également avec Rock en Seine, Astropolis

Comment avez-vous pris connaissance de la campagne « Ici c’est cool » ?

J’ai entendu parler de cette initiative via Le Hellfest. Quand j’ai découvert les visuels, j’ai trouvé la campagne géniale, très inspirante et nécessaire.

Pour vous, il y a un vrai travail de fond à faire continuellement sur ces sujets-là ?

Il y a en effet un vrai travail de prise de conscience à faire parce que les personnes concernées ont l’impression que cela concerne tout le monde, et les personnes non concernées ont l’impression que le problème des violences sexuelles en milieu festif est marginal. C’est aussi pour cela que nous avons eu cette approche scientifique via l’étude. Nous voulions parler de chiffres pour pouvoir quantifier sur le long terme s’il y a des améliorations ou une augmentation de ces violences. Nous pensons que ces chiffres sont sous-estimés parce qu’il y a une méconnaissance des définitions des violences sexuelles. Par exemple, dans les milieux festifs, une main aux fesses, qui est une agression sexuelle, n’est pas considérée comme telle par de nombreuses personnes. Nous travaillons sur ces définitions pour aider les personnes à réaliser que ce qu’elles ont vécu n’est pas normal, que la personne qui les a agressées n’en avait pas le droit et que ce qui leur est arrivé n’est pas de leur faute. Nous avons voulu avoir une communication positive en proposant une solution qui est celle de la culture du consentement. Nous réfléchissons à comment interagir ensemble en permettant à chacun et chacune de se sentir confortable et de pouvoir exprimer ses propres limites. Nous avons également une démarche d’empouvoirement (traduction française de l’empowerment, un concept mêlant acceptation de soi, confiance, estime, ambition et pouvoir), dans le sens où nous avons envie que chacun et chacune puisse exprimer à la fois son orientation sexuelle et sa sexualité de manière libre, sans être jugé(e) ni agressé(e).

Avez-vous l’impression que la France est à la traine sur ces sujets ?

Oui, c’est mon impression. Il y a une culture du viol à la française qui est vraiment teintée de machisme, une culture de domination des hommes sur les femmes dans les lieux festifs, une culture « d’aller en soirée pour chasser ». C’est très présent et oppressant pour les femmes. Contrairement à ce que les gens pensent, ces phénomènes touchent tous les milieux, même les milieux progressifs, alternatifs, LGBTQI (Lesbienne, Gay, Bisexuel, Transsexuel, Queer, Intersexué) qui sont considérés comme plus sûrs. Nous avons le sentiment qu’en France, il y a, par rapport à l’Allemagne par exemple, un retard sur cette conscientisation, et également sur la notion de féminisme qui est encore considéré comme très radical. L’exemple récent de « Valeurs actuelles » qui fait un parallèle entre les féministes et les terroristes le prouve. Il y a donc encore cette pensée à déconstruire sur la place publique que le but du féminisme n’est pas d’avoir une domination des femmes sur les hommes, mais l’égalité des droits. Globalement, nous notons quand même une progression de ce point de vue là puisque les idées féministes sont de plus en plus acceptées.

Pensez-vous que les nouvelles générations vont aider à cette prise de conscience ?

Oui, j’ai cet espoir et j’ai envie d’être optimiste à ce sujet, même si quand on milite dans ces milieux, il y a parfois de quoi être pessimiste quand on voit les statistiques et le flot de témoignages de violences sexuelles que l’on reçoit. Les féministes ont fait et continuent à faire un travail d’éducation et de pédagogie incroyable sur les réseaux sociaux, dont la cible est clairement les adolescentes. Ce travail permet d’enseigner aux jeunes filles qu’elles n’ont pas à accepter des abus et des situations qu’elles ne désirent pas. C’est un point sur lequel les générations précédentes n’ont pas été éduquées. Elles n’ont pas appris à dire non et à exiger que cette demande soit entendue et respectée sans justification.

Selon vous, ces chiffres ne sont-ils pas aussi dus à la libération de la parole ?

Oui, c’est sûr que le fait qu’on en parle davantage a créé davantage de prise de conscience sur ce que sont les violences sexuelles. Cela permet à de nombreuses personnes qui ont été victimes de violences sexuelles de réaliser qu’elles l’ont été. Par exemple, de nombreuses personnes déclarent n’avoir jamais été victimes de sexisme dans les lieux festifs, mais quand nous discutons avec elles, elles réalisent qu’on leur a déjà mis une main aux fesses en soirée, qu’elles ont peur quand elles rentrent seules chez elles et qu’elles gardent toujours leurs clés dans la main pour se protéger, qu’elles ne vont jamais seules en soirée, qu’elles regardent le sol quand elles dansent pour éviter les contacts visuels parce qu’elles ont peur que cela soit pris pour une invitation… Et c’est là où les personnes réalisent que les milieux festifs sont souvent sexistes, racistes et qu’il y a de nombreuses discriminations qui y sont présentes et que l’on doit combattre.

Donc en 2020, on continue le combat pour que ça soit cool partout ?

C’est exactement ça !

Propos recueillis par Fabienne Jacobson