Femmes, on vous aime au festival MIA3J !

Femmes, on vous aime au festival MIA3J !

« Les enfants ont tout de suite été hyper réceptifs. Pour moi, c’est très positif et très prometteur. On retrouve d’ailleurs cette sensibilité chez les ados et les tout jeunes adultes qui ont une connaissance impressionnante de la problématique ».

Angélique Legrand


Angélique Legrand est Administratrice de Production à l’association Musiques sur la Ville qui organise le festival Musiques D’Ici et D’Ailleurs et MIA3J, un festival dans le festival, qui depuis 2016 fait la promotion de la création et du talent au féminin, et se veut un lieu d’échange, de rencontres et de débat sur la place de la femme dans notre société. Rencontre.

Bonjour, pouvez-vous nous dire quelques mots sur vous et votre parcours ?

Musicienne depuis mon enfance, je suis devenue artiste de cirque à 20 ans. J’ai ensuite décidé de suivre une formation de chargée de production à la suite de laquelle j’ai immédiatement intégré l’association Musiques sur la Ville où je suis actuellement Administratrice de Production.

Nous travaillons tout au long de l’année sur l’organisation d’événements comme le festival des Musiques du Dimanche, la Fête de la Musique, le Festival des Percussions du Monde, Carillon de Lumière… et surtout le Festival Musiques D’Ici & D’Ailleurs.

La création féminine étant au cœur de notre projet, c’est tout naturellement que la création 100 % féminine « Terra Mater » a vu le jour en 2009 dans une édition du festival entièrement féminine. Il nous est ensuite apparu évident en 2016 de clore les 5 semaines de festival par les MIA3J (3 jours au féminin en Juillet au Jard(in) anglais de la ville), qui fait la part belle à la création féminine et promeut intensément l’égalité femme/homme.

Nous ouvrons normalement sur les places publiques de Châlons-en-Champagne et des communes alentour, mais avec MIA3J l’idée était de faire une manifestation dans un écrin de verdure et uniquement avec des créations menées par des femmes. Pas forcément des groupes complètement féminins, mais des groupes dont les leaders sont des femmes. Depuis 2016, ce projet se développe chaque année d’avantage.

Avez-vous cru à ce projet dès le début ?

Pour la petite anecdote, j’ai été un peu sceptique quand cette idée a émergé. Je m’imaginais que c’était se restreindre, qu’il y avait très peu de femmes créatrices, que nous aurions des difficultés à trouver chaque année le nombre suffisants de groupes émergents et de projets adéquats pour faire vivre notre festival… Mais j’ai rapidement évolué, ce festival est devenu « mon bébé » et j’ai grandi avec lui en tant que femme.

Je me suis sensibilisée à cette cause et j’ai beaucoup appris.

On pourrait dire que ce projet a réveillé votre âme militante ?

C’est exactement cela ! Depuis, je me suis investie, je me suis formée et j’ai pu découvrir les différents mouvements du féminisme. De fait, Ici C’est Cool a été un révélateur sur la problématique des violences sexuelles et sexistes en milieu festif, et au-delà, de toutes les discriminations. C’est avec eux que j’ai fait mes premières armes pour sensibiliser les publics et prévenir les violences.  

Pouvez-vous nous raconter comment ?

Nous avons découvert Ici C’est Cool en 2019 avec les affiches de la campagne de sensibilisation, que nous avons exposées sur site en juillet de la même année, pendant MIA3J. Ça a été la première action que nous avons menée et cela m’a amenée à traîner sur le site Internet d’Ici C’est Cool. J’ai découvert que des choses étaient mises en place comme des endroits safe et cela m’a permis de faire le lien avec le festival MIA3J.

À titre personnel, je n’ai jamais été agressée sur le festival et n’ai jamais perçu de violences. Cela m’a surtout permis de prendre conscience qu’en tant que femme, j’avais une certaine forme de déni et de fatalité. C’est à dire qu’il y a des violences que l’on subit qui nous paraissent normales puisqu’on a grandi avec : se faire héler dans la rue, se faire insulter parce qu’on ne donne pas son numéro de téléphone, se faire siffler… Ma vision était que c’était comme ça, que c’était normal. Par le biais d’Ici C’est Cool, j’ai compris que ce n’était pas une fatalité de subir ce genre de comportements et qu’il était nécessaire de prêter attention à ces problématiques sur les événements que nous organisons.

J’adore le nom Ici C’est Cool, l’idée « Ici, vous êtes dans un endroit safe et nous allons faire le maximum pour que vous soyez en sécurité et que vous vous sentiez le mieux possible dans ce lieu ». J’ai ensuite eu la chance de participer à des formations. Les chiffres m’ont permis de réaliser l’étendue du problème. Ça a été une claque et le début d’un travail introspectif et de prise en compte de ce que j’avais pu subir en tant que femme…

Suite à ces formations, quelles actions avez-vous mises en place sur votre festival ?

Au départ, l’idée du festival était de mettre les femmes artistes en lumière. Mais à partir de 2019, nous avons voulu aller beaucoup plus loin. J’avais envie que ce que j’avais appris, les gens l’apprennent aussi et le comprennent. Nous avons donc travaillé en étroite collaboration avec le CIDFF (Centre d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles) et mis en place des espaces de sensibilisation, d’information, mais également des rencontres débats où on laisse la parole aux femmes : aux femmes artistes et à des femmes de la société en général. Nous avons également proposé des projections vidéo. La première projection était sur le thème de la musique et les femmes qui se sont émancipées avec le documentaire RiotGrrrl.

Dès le départ, nous avons aussi eu pour objectif de sensibiliser les enfants. Parce que c’est notre avenir, nous ne voulions pas oublier ce public. Nous avons donc mis en place des ateliers pour les enfants : self-défense féminin, auquel les adultes pouvaient également participer, initiation au football féminin, activités manuelles animées par le CIDFF (je tiens à préciser que notre festival n’est pas un festival uniquement de femmes et que les hommes y ont toute leur place). Nous avons également réalisé des projections de dessins animés suivies de débats avec les enfants.

Enfin, nous avons travaillé en 2020 avec une école pour mener un PAG (Projet Artistique Globalisé) et nous réitérerons l’expérience en 2021.

Quel a été l’accueil des enfants et de votre public en général ?

Les enfants ont tout de suite été hyper réceptifs. Pour moi, c’est très positif et très prometteur. On retrouve d’ailleurs cette sensibilité chez les ados et les tout jeunes adultes qui ont une connaissance impressionnante de la problématique.
Chez les adultes, nous avons affronté un côté réfractaire chez certaines personnes, mais quand on prend le temps d’expliquer ce qu’on fait, comment on travaille et que le sujet n’est pas de dire « À bas les hommes ! », tout se passe très bien.

Comment se compose le public du festival MIA3J ?

Notre public a entre 5 et 90 ans. Le jeudi est la journée à destination du jeune public où l’on retrouve donc un public d’enfants, de parents et de grands-parents. Le vendredi et le samedi, le public est plus jeune, entre 18 et 65 ans. Et le dimanche, on retrouve un public familial avec beaucoup de seniors.

Depuis 2016, vous vous sentez croitre l’intérêt pour votre festival et les thématiques qu’il aborde ?

La première année, il y avait 2000 personnes et ce chiffre a largement doublé en 2019. Notre public vient découvrir de la musique, mais une partie vient essentiellement pour cette cause.

En 2016, on était loin de ce que l’on constate à l’heure actuelle dans l’évolution des mentalités. Il n’y avait pas encore les mouvements grand public #MeToo ou #MusicToo qui ont permis que quelque chose se passe dans les médias, et surtout que la parole se libère, ce n’est plus aux victimes d’avoir honte.

Qu’en est-il des artistes ?

Les artistes de notre festival sont des militantes très engagées dans cette cause. MIA3J étant un festival international, les artistes viennent des quatre coins du monde et nous permettent de dresser un constat dans d’autres pays, comment la place de la femme évolue ailleurs qu’en France. Nos artistes sont toujours aussi vibrantes et influentes année après année.

Votre objectif est donc une promotion de la culture de l’égalité ?

Il est indispensable de montrer que les femmes ont énormément de choses à dire, de qualités artistiques. Or les chiffres des femmes programmées sont ridicules. Notre festival défend la culture du monde, c’est dans son ADN. L’inclusion des femmes racisées et LGBTQIA+ (ndlr : lesbiennes, gays, bisexuelles, trans, queers, intersexes et asexuelles) fait donc également partie de notre projet.

Quel est l’enseignement vous a le plus marquée lors des formations Ici C’est Cool ?

J’ai suivi plusieurs formations en numérique et en présentiel et j’ai aussi regardé de nombreuses vidéos qu’ils avaient postées. En février dernier, j’ai participé à une formation en présentiel par le biais du POLCA (Pôle des Musiques Actuelles de Champagne-Ardenne) sur 2 jours à Châlons-en-Champagne. La première journée était avec le CIDFF et la deuxième avec Yann Christodoulou. C’est son intervention qui m’a le plus marquée. Les formations sont souvent dans les chiffres et le constat, lui était dans le récit d’un vécu. J’ai aimé le côté concret de son regard.

Avez-vous eu à déplorer des cas d’agression sur votre festival ?

C’est un festival en accès libre et en plein air dont l’ambiance est très bon enfant et je n’y ai jamais constaté de violences sexuelles ou sexistes. Mais les formations sont justement indispensables pour savoir comment identifier ces violences et comment y réagir.

Quel est votre souhait pour l’avenir ?

Quand j’ai commencé à Musiques sur la Ville, je travaillais dans un environnement majoritairement masculin. J’ai dû m’imposer, me sentir légitime. Si aujourd’hui j’ai fait ma place, j’aimerais que les équipes soient vraiment sensibilisées à cette cause afin de se sentir concernées et qu’elles soient composées de plus en plus de femmes.

On se dit toujours que le milieu culturel est un milieu privilégié où tout le monde est bienveillant et à l’écoute, mais c’est un milieu très masculin et autant touché que les autres. Mais j’ai bon espoir que tout cela évolue. D’ailleurs, mon plus grand rêve est finalement que MIA3J s’arrête parce qu’il n’aura plus lieu d’être !

Propos recueillis par Fabienne Jacobson