Changer les mentalités pour rendre la fête plus inclusive

Changer les mentalités pour rendre la fête plus inclusive

« Nous nous battons aussi contre les discriminations LGBT-phobes et sexistes pour rendre le milieu festif plus inclusif. Quand nous faisons de la prévention, nous ne parlons pas uniquement des sexualités et des pratiques hétéronormées. Nous donnons accès au matériel de prévention et aux informations de santé à tout le monde »

Alexandre Nieto – (Fêtons plus, risquons moins)


Alexandre Nieto est responsable des activités de prévention et de réduction des risques en milieu festif d’Act Up Sud-Ouest. Il coordonne également le dispositif « Fêtons plus, risquons moins » à Toulouse. Rencontre.

Bonjour, pouvez-vous commencer par vous présenter ? 

Je m’appelle Alexandre Nieto. Je suis salarié et militant de l’association Act Up Sud-Ouest. Actuellement, je suis le responsable de nos activités de prévention et de réduction des risques en milieu festif. Act Up Sud-Ouest est l’association qui coordonne interassociativement le dispositif de prévention et de réduction des risques en milieu festif « Fêtons plus, risquons moins » sur la ville que Toulouse. Je coordonne donc également ce dispositif pour l’interassociatif. Nous fonctionnons avec des salariés, des personnes en Service Civique en partenariat avec Unicités et des bénévoles, suivant si nous intervenons sur dispositifs subventionnés ou pas. Les subventions ont beaucoup baissé ces dernières années car la lutte contre le sexisme, la LGBT-phobie et la santé sexuelle n’ont pas forcément été la priorité des derniers gouvernements, mais nous réalisons malgré tout environ 140 actions par an.

En quoi consiste vos actions ?

Chez Act Up, nous avons une partie de militantisme sur la lutte contre le sida, l’accès à la santé pour tous et toutes, la défense des droits des personnes minorisées et notamment des personnes LGBTI (Lesbiennes, Gays, Bisexuelles, Trans, Intersexes). Sur nos actions de prévention, nous agissons sur les thématiques de santé sexuelle : la lutte contre le VIH et les IST (Infections Sexuellement Transmissibles) et la réduction des risques en lien avec la consommation de produits psychoactifs. Quand nous réalisons des actions de prévention en milieu festif, le fait d’être là, de parler de sexualité et de toutes les sexualités, de toutes les orientations sexuelles et identités de genre, nous luttons également contre la LGBT-phobie et le sexisme. Ces actions ont lieu dans toute la région Occitanie Ouest (ex Midi-Pyrénées). Nous avons un stand où l’on peut retrouver des capotes externes et internes, du matériel de réduction des risques, de la documentation sur le VIH et les IST… Sur la ville de Toulouse, avec ce collectif interassociatif, financé par la Mairie, la Préfecture de Haute-Garonne et l’Agence Régionale de Santé Occitanie, nous agissons sur l’espace public. Nous mettons en place des actions qui se déroulent dans la rue avec des équipes qui font des maraudes de bar en bar avec un vélo triporteur dans l’hypercentre de Toulouse. Nous réalisons aussi une action de rue avec un camion et une équipe interassociative et un stand. L’équipe y propose aux fêtards le matériel que nous avons sur le stand. Nous sommes présents sur les festivals, les concerts de la ville de Toulouse et son agglomération. Depuis deux ans, nous avons également un dispositif spécifique festif en milieu LGBT. En plus du matériel classique, nous proposons des dépistages rapides VIH et Hépatite C. 

Vous avez donc une réelle volonté de rendre la fête plus inclusive ?

C’est exactement ça. Depuis la création de l’association en 1991, Act Up Sud-Ouest a toujours proposé des capotes et du matériel de RDR (Réduction Des Risques) en festivals. Nous nous sommes toujours mobilisés pour proposer ce matériel gratuitement en milieu festif. Nous nous battons aussi contre les discriminations LGBT-phobes et sexistes pour rendre le milieu festif plus inclusif. Quand nous faisons de la prévention, nous ne parlons pas uniquement des sexualités et des pratiques hétéronormées. Nous avons du matériel et de la documentation pour tout le monde. Nous donnons ainsi accès au matériel de prévention et aux informations de santé à tout le monde.

Comment formez-vous vos équipes ?

Nous agissons avec d’autres associations qui n’étaient pas forcément formées à toutes ces questions. Avec « Fêtons plus, risquons moins », nous travaillons avec des associations communautaires, des associations qui font de la prévention en milieu étudiant, des associations spécialisées en l’addictologie, des centres d’accueil pour usagers de drogues… Tout ce monde-là venait d’horizons différents avec ses spécificités. Il a donc été nécessaire de parler, de former les gens, afin que certaines personnes s’aperçoivent des réalités du milieu festif. Au fur et à mesure, nous avons réussi à créer une nouvelle pratique d’intervention inclusive pour tous et toutes. Comme nous l’avons constaté avec l’augmentation du nombre d’agressions LGBT-phobes et d’agressions sexuelles de femmes ces dernières années, les milieux où nous intervenons, notamment les dispositifs de rue, ne sont pas des milieux safe pour les femmes et pour les personnes LGBT. Nous essayons cependant de créer un espace safe et inclusif pour permettre le dialogue et espérer faire évoluer les choses. Nous travaillons également avec les organisateurs de soirées. Avec Octopus, la Fédération de Musiques Actuelles en Occitanie, nous avons monté un label pour former les organisateurs d’événements festifs et musicaux à la santé et à ces thématiques afin qu’ils puissent mettre en place des actions de prévention. Pour nous, lutter contre le sexisme et la LGBT-phobie passe par le fait d’utiliser le bon vocabulaire, de mettre à disposition du matériel pour tout le monde, de recadrer les gens… Nous envisageons notre stand comme un lieu refuge pour toutes les personnes qui ne se sentent pas bien, qui ont été ou se sont sentis harcelées pendant la soirée. Elles viennent en parler et nous essayons de les prendre en charge. L’accueil est neutre et nous ne présumons jamais de leur identité de genre, ni de leur sexualité. Nos équipes ont également été formées à être très vigilantes sur la question de l’accès au matériel et au discours pour les femmes. Nous nous sommes en effet aperçus que ce sont le plus souvent les hommes qui viennent prendre du matériel et que les femmes n’osent pas forcément. Nous constatons le sexisme envers les femmes quand nous entendons des ricanements ou des blagues salaces quand une femme prend du matériel sexualité. Dans ces cas-là, nos intervenants n’hésitent pas à recadrer les plaisantins.

Que pensez-vous de la campagne de prévention mise en place par « Ici c’est cool » ?

Je trouve que c’est très bien de parler des discriminations en milieu festif. La plupart des organisateurs d’événements en sont conscients, ils veulent bien faire, mais ils manquent souvent de moyens, d’outils et de formations spécifiques. Cette campagne permet d’avoir un outil à disposition pour visibiliser ces questions et engager tout un travail sur leurs festivals et soirées. En France, nous avons beaucoup de travail à faire pour rendre le milieu de la fête plus safe et inclusif pour tous et toutes mais nous manquons d’outils. Chaque outil est donc intéressant et bienvenu.

Depuis que vous travaillez sur le sujet des violences en milieu festif, notez-vous une amélioration ou avez-vous l’impression que la situation se dégrade ?

En intervenant régulièrement, en ayant travaillé sur ces sujets, en visibilisant le fait que tout n’est pas permis, en faisant de notre stand un lieu d’écoute sécurisé et identifié où les gens peuvent parler librement et sans jugements, nous avons noté un réel effet positif. Dans la rue, c’est plus compliqué à évaluer. Il y a toujours une proportion de 60% d’hommes et de 40% de femmes qui viennent nous voir et prendre du matériel, même si nous essayons de mettre des choses en place pour que les femmes viennent discuter sexualité et consommation de produits. Le sexisme et la LGBT-phobie restent très présents et il est absolument nécessaires que les organisateurs se rendent compte de l’importance de rendre leurs événements safe et accessibles à toutes et tous. Nous aimons la fête et nous pensons que c’est quelque chose d’important. Mais la fête doit être un espace pour tout le monde où l’on ne doit pas retrouver les logiques d’oppression et de domination de notre société. Le travail à faire reste énorme. Plus nous aurons des outils, des formations et des actions, plus la situation aura des chances de s’améliorer. Et tout le monde peut agir à son niveau dans son comportement. Il est temps que les hommes cisgenres se rendent compte de leurs privilèges et de la situation, qu’ils se questionnent sur la masculinité toxique. Enfin, quand l’on est témoin de situations d’harcèlement ou d’agressions, tout le monde doit être acteur de la lutte contre le sexisme et la LGBT-phobie, dans la fête, mais aussi dans la société de manière globale. Car tout le monde a un rôle à jouer dans le changement des mentalités.

Propos recueillis par Fabienne Jacobson