Quand la fête gagne en sérénité, on a tou.te.s à y gagner !

Quand la fête gagne en sérénité, on a tou.te.s à y gagner !

« En fonction de l’espace et du temps que nous avons et de ce que le lieu nous permet, nous avons des ressources sur le consentement et plus largement sur les questions de violences de genres. »

Marion Paci (Serein.e.s)


Marion Paci est Chargée de Lutte contre les Discriminations. Elle est également co-présidente de l’association « Serein.e.s » à Grenoble. Rencontre.

Bonjour, pouvez-vous commencer par vous présenter ?

Je m’appelle Marion, j’ai 26 ans et je suis originaire de Grenoble. J’ai fait des études en socio et en production des musiques actuelles. J’étais par ailleurs sensible, puis militante, sur les questions de féminisme. Quand j’ai commencé à travailler dans la production, je me suis posé pas mal de questions sur les inégalités entre les hommes et les femmes et les sous-représentations dans la programmation. J’ai ensuite repris mes études sur d’autres thématiques. En parallèle, je faisais partie du CA d’une association à Grenoble qui organise des soirées de musiques électroniques. En 2017, avant d’organiser un festival, nous avons eu des retours de cas de harcèlements et d’agressions dans une des salles où nous organisions régulièrement des événements. La militante en moi s’est dit qu’il fallait faire quelque chose pour que cela n’arrive plus. Nous avons alors cherché s’il existait des outils spécifiques sur les violences et le consentement en milieux festifs et nous n’avons pas trouvé grand-chose. C’est comme cela qu’est née l’idée de créer Serein.e.s., une association d’intervention en milieu festif qui a pour objectif de faire des espaces de soirées des endroits plus sûrs et égalitaires pour tou.te.s.

Pouvez-vous nous parler de votre asso ?

Nous étions un groupe de personnes investies bénévolement dans le milieu des musiques actuelles et qui fréquentaient pas mal de soirées tardives. À l’hiver 2018, nous avons commencé à réfléchir à un projet qui permettrait à la fois de prévenir, d’informer et de transformer les lieux de fête, et en mai 2019, nous avons déposé les statuts de l’asso. Nous sommes 6 bénévoles au CA auxquels s’ajoutent des bénévoles terrain. Nous avons souhaité une structuration horizontale et les 6 membres du CA sont donc toutes et tous co-présidents et co-présidentes. Notre idée est de pouvoir être chacun et chacune à égalité pour les prises de décisions et d’orientations.

Le premier sujet sur lequel nous avons voulu travailler est la question du consentement et des spécificités du consentement en milieux festifs. Nous avons assez rapidement voulu aller sur le terrain et faire des interventions pour échanger avec les publics. Nous avons également réfléchi à la question des espaces safe. Assez vite, nous nous sommes rendu compte que pour que cela ait du sens de faire des interventions, il fallait que les organisateurs d’événements prennent part au projet, soient sensibilisés et aient des leviers d’action sur ces questions de violences. Nous proposons donc aussi des formations qui prennent la forme de temps d’échange, de réflexion et d’accompagnement. Nous leur apportons des choses concrètes qu’ils peuvent s’approprier et adapter à leurs besoins en fonction de leur structuration et de leurs projets.

Notre idée est de déconstruire et de transmettre le plus de choses possibles au plus grand nombre. Nous avons des hommes cisgenres (type d’identité de genre où le genre ressenti d’une personne correspond au sexe assigné à sa naissance) dans notre CA, car il était important pour nous de voir quelles réflexions et quels discours nous pouvions avoir et comment les tourner pour que cela fonctionne le mieux, tout en gardant chacun.e notre place de personne concernée ou non sur ces questions.

Quels types d’actions mène Serein.e.s ?

Nous avons commencé à travailler avec des structures sur Grenoble en septembre 2019. En fonction de l’espace et du temps que nous avons et de ce que le lieu nous permet, nous avons des ressources sur le consentement et plus largement sur les questions de violences de genres. Nous sommes présent.e.s pour pouvoir échanger avec les gens et nous construisons donc des outils adaptés aux milieux festifs. Nous en avons créé un que nous aimons beaucoup qui s’appelle « La Roue du Consentement » : il s’agit d’une roue de vélo sur laquelle nous avons écrit des questions et des affirmations qui ont un lien avec la séduction et le consentement. Les gens tournent la roue, tombent sur une des questions et cela nous permet de lancer un échange. Nous avons aussi développé un flyer à donner aux relous sur lequel il est écrit « Si tu reçois ce flyer c’est qu’à un moment tu as eu un comportement relou ». Au dos du flyer, il y a des explications sur ce qui peut être problématique et relevé du harcèlement, voire de l’agression, et pourquoi c’est chiant, sur un ton un peu décalé pour coller avec l’ambiance dans laquelle nous travaillons.

Comment les membres de Serein.e.s se forment-ils ?

Nous avons suivi l’année dernière une formation auprès du Planning Familial pour faire de la prévention sur la santé sexuelle et les IST, qui sont des sujets très liés au consentement, avec des outils d’éducation populaire. Nous avons également suivi une formation d’auto-défense physique et verbale. Ce sont des outils que nous pourrons réutiliser dans la production de flyers et des discours que nous utilisons dans les échanges avec les personnes sur le stand. Nous avons toutes et tous des modes de formation différents. Hermine, qui est l’une des co-présidente, est par exemple très attentive à ce qui se passe sur les réseaux sociaux et apporte ainsi plein de contenus. J’ai quant à moi un côté plus universitaire socio. Nous faisons donc beaucoup d’auto-formation en interne au travers de discussions et d’échanges. L’idée de l’asso est vraiment de ne pas se cantonner aux questions d’inégalités femmes/hommes et de genres, mais d’essayer d’ouvrir la réflexion à d’autres perspectives comme l’oppression de classe, d’orientation sexuelle ou de race, avec tout le cheminement de notre positionnement en tant que personnes non concernées ou concernées et le questionnement de quelle parole nous pouvons porter, à quel endroit nous sommes des allié.e.s. C’est pour cela qu’il est indispensable pour nous de nous ouvrir et d’avoir des liens avec d’autres structures.

Quel accueil recevez-vous sur les événements où vous intervenez ?

Auprès des femmes et des personnes qui s’identifient en tant que femmes, nos actions sont très bien reçues et nous avons beaucoup de personnes qui viennent nous remercier. Nous avons vécu de moments très beaux où nous étions plein de filles qui ne se connaissaient pas autour du stand et où nous avons parlé de nombreux autres sujets que du consentement en soirée : d’attitudes en général et de comment y répondre, mais aussi de sujets plus tabous comme les règles par exemple. Cet espace d’échange produit vraiment de chouettes choses ! Malgré le fait que nous soyons sur des temps festifs où l’on pourrait penser que les gens n’ont pas envie de se prendre la tête, les personnes sont plutôt ouvertes à l’échange. Nous arrivons également à échanger pas mal avec des hommes cisgenres. Il y a bien entendu toujours des personnes qui ne sont pas d’accord avec nous, qui n’ont pas envie d’entendre ce que nous avons à dire et qui restent campées sur leurs positions, mais globalement, nous sommes bien reçu.e.s. Nous avons également un bon relationnel avec les structures avec lesquelles nous avons établi des partenariats et qui sont assez demandeuses.

Avec quels types de structures travaillez-vous ?

Notre toute première intervention était avec l’association Mixarts qui organise le festival Merci, Bonsoir !, entre théâtre et musiques actuelles. Nous avions deux stands que nous avons tenu à deux pendant deux jours et là encore, ça a été très riche. Comme nous étions en extérieur et que nous avions plus d’espace, nous avions pu faire des murs d’expression et un espace de discussion plus intime. Nous voulons pouvoir recevoir la parole des personnes qui ont été victimes ou qui ne se sentent pas bien en ayant des temps un peu calmes avec elles si elles le souhaitent, et pour pouvoir les orienter vers des structures spécialisées si besoin. Parfois, l’espace de certains lieux ne le permet pas.

Le coronavirus a bloqué pas mal de projets que nous avions, mais nous faisons régulièrement des interventions à La Bobine qui fait des apéros électro les mardis soirs et à L’AmpéRage qui est une salle associative qui fait des concerts et des soirées tardives. Nous avions entamé un temps de travail avec La Belle Électrique qui est la SMAC (Scène de musiques actuelles) de Grenoble et où nous avons fait une intervention. Nous travaillons aussi en lien avec Keep Smilling, une asso de réduction des risques basée à Lyon. Nous avons réalisé une intervention commune à Lyon. Chez Serein.e.s, nous avons cette idée de travailler en partenariat et en lien avec d’autres structures qui ont d’autres compétences et avec lesquelles nous pouvons mutuellement nous apporter des compétences.

Dans les projets qui devaient avoir lieu cette année et qui ont été reportés, nous avons travaillé avec le festival Magic Bus, à la fois en intervention et pour faire de la formation auprès des bénévoles et du CA. Nous devions aussi avoir un stand sur le festival Hadra. Nous étions en train de construire ce projet collectivement avec l’asso, Keep Smilling et d’autres structures de réduction des risques. Un gros cycle de formations était prévu avec des modules de déconstruction et de réflexion généralistes et d’autres plus spécifiques sur la mise en place de procédures en cas de violences sur le festival, comment repenser la communication pour que les choses soient plus égalitaires… Pas mal de projets étaient en réflexion, nous les mènerons finalement plus tard cette année.

Depuis 2 ans que Serein.e.s existe, quel constat faites-vous sur les violences en milieux festifs ?

Je pense que ce qui a changé c’est que la parole est mieux acceptée. Avant MeToo, on ne pouvait pas dire qu’on était féministe sans se faire houspiller ou recadrer alors que c’est désormais beaucoup plus toléré. Dans le milieu des musiques actuelles, cette présence est interrogée, des questions se posent à des échelles moins militantes, mais je ne sais pas s’il y a eu des changements profonds. C’est encore trop tôt pour faire un réel constat. En revanche, en termes d’accueil et de volonté de réfléchir sur ces questions, il y a eu une évolution notable. C’est un projet que nous n’aurions sûrement pas pu monter il y a encore 5 ans et pour lequel nous n’aurions pas reçu le même accueil.

Que pensez-vous de la campagne de prévention mise en place par « Ici C’est Cool » ?

Quand nous avons lancé l’asso, nous avons regardé ce qui existait comme actions similaires et nous avions découvert Ici, C’est Cool. Je trouve les affiches très intéressantes car elles visibilisent les questions de violence. Par ailleurs, j’aime beaucoup que cette campagne ne soit pas centrée sur les questions de genres et d’inégalités femmes/hommes et qu’elle prenne en compte d’autres formes de domination et d’oppression. Je trouve évidemment cela très important qu’il y ait plusieurs structures avec différents modèles qui travaillent sur ces questions.

Vous travaillez actuellement sur un mémoire sur les violences en milieux festifs, pouvez-vous nous en parler ?

Je suis en effet en train d’écrire mon mémoire. Il ne traite pas seulement des violences en milieux festifs, mais plus globalement des questions de genres dans la pratique professionnelle des musiques actuelles et la façon dont cela transforme les pratiques. Je questionne les représentations, les actions et les choses mises en œuvre.

Quels sont les futurs projets de Serein.e.s ?

Nous avons plein de projets de développement pour la suite : l’enjeu de travailler avec les services de sécurité sur les événements, l’envie de monter un observatoire des évolutions dans les comportements, la volonté de créer du lien entre les actrices et les acteurs du secteur des musiques actuelles… Nous cherchons donc plein de bénévoles qui voudraient s’investir avec nous !

Propos recueillis par Fabienne Jacobson