À Bouillon Cube, place au KIF !
« L’association a dans son ADN des valeurs assez fortes d’éducation populaire, d’ouverture et d’égalité. Nous avons ainsi entamé toute une réflexion autour de la création d’un kit de prévention du sexisme en milieu festif rural. Ce kit aurait dû être lancé l’année dernière, mais a été reporté à cette année à cause du Covid ».
Julia
Apprentie à Bouillon Cube, Julia est Chargée de Projet Coopération et Égalité. Avec des partenaires régionaux, elle a travaillé à la création d’outils pour lutter contre les discriminations en milieu festif rural. Rencontre.
Bonjour, pouvez-vous nous parler un peu de vous ?
Je m’appelle Julia, j’ai 22 ans et j’ai toujours été passionnée d’art et de culture, en lien avec des problématiques sociales. Au lycée, j’avais pris des options artistiques, j’ai ensuite fait 2 ans de Prépa Littéraire avec des options cinéma et théâtre, et après cela j’ai fait une Licence Pro de Médiation Artistique et Culturelle.
Comme je faisais un mémoire sur le spectacle vivant en milieu rural, j’ai fait mon stage de fin de Licence Pro à Bouillon Cube. De ce stage a débouché un Service Civique, puis un Master de développement social en alternance. Je travaille donc actuellement à Bouillon Cube en tant que salariée apprentie, tout en m’engageant en parallèle pour de nombreuses causes et associations.
Pouvez-nous faire un petit panorama de qu’est-ce qu’est Bouillon Cube ?
Bouillon Cube est une association qui est un pôle rural d’activités organisé autour de quatre axes : activités culturelles, jeunesse, européennes et, plus récemment, outils de territoire. Notre association est basée au Causse de la Selle, un village de 350 habitant.e.s, et existe depuis 15 ans.
À nos événements, nous avons un public local des villages alentour, dont certains qui nous suivent depuis 15 ans. Il s’agit de personnes qui habitent la région depuis très longtemps, mais aussi de personnes arrivées plus récemment sur le territoire, particulièrement des jeunes familles avec des enfants en bas âge. Le fait que nous ayons une activité jeunesse, avec 2 accueils de loisirs, nous permet d’être en lien avec les enfants et les parents du territoire. Et comme cela fait 15 ans que nous avons cette activité, les jeunes nous connaissent depuis leur enfance.
Étant situésà 45 minutes/1 heure de trajet de Montpellier, nous avons également un public montpelliérain. Le fait d’être à côté de la rivière et d’offrir la possibilité de camper sur place permet aux gens de pouvoir venir passer le week-end dans notre lieu. Enfin, en temps normal, nous avons aussi pas mal de touristes qui sont en vacances dans le coin.
Pouvez-vous nous en dire plus sur l’axe d’activités culturelles ?
Bouillon Cube a une saison artistique et culturelle en milieu rural de mai à septembre, avec des dates décentralisées en Pic Saint Loup et des dates à La Grange : un festival jeune public « La Dinette » en mai/juin, un festival de danses et musiques traditionnelles et métissées « Le Week-end » et une programmation estivale tous les vendredis de juillet et août avec des soirées spectacles et concerts.
En quoi la culture en milieu rural est-elle différente de la culture en milieu urbain ?
Les enjeux sont différents : en ville, il y a beaucoup de monde, il est possible d’être plus spécifique dans les propositions culturelles, d’avoir des lieux dédiés à certains types de musique, à certaines esthétiques.
À Bouillon Cube, le projet artistique s’articule avec d’autres actions et notre proposition artistique est donc très diversifiée et pluridisciplinaire : beaucoup de spectacles de théâtre, mais aussi de la danse, du cirque et des concerts. Dans les esthétiques de concerts, nous avons une réelle volonté de varier les genres. Tout ceci est fédérateur de liens pour le territoire.
Vous avez mis en place des actions pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, pouvez-vous nous en parler ?
Il s’agit d’actions qui ont commencé à être mises en place récemment. L’association a dans son ADN des valeurs assez fortes d’éducation populaire, d’ouverture et d’égalité. La question de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles revenait souvent, mais il n’y avait pas encore eu de formalisation d’actions. Les questions d’égalité femmes/hommes étaient cependant déjà présentes au sein de l’association au travers les choix de programmation et la signature de la Charte Madeleine H/F en partenariat avec Occitanie en Scène et le Mouvement H/F Montpellier.
En 2019, il y a eu un appel à projets de la région Occitanie sur la prévention des violences sexuelles et sexistes et la lutte contre celles-ci. À ce moment-là, nous voulions justement formaliser une charte dans notre lieu pour l’égalité et la prévention. Nous nous sommes dit que c’était l’occasion de répondre à cet appel à projets pour en faire un focus.
Nous avons des activités très diverses et nous faisons régulièrement des focus autour de certains sujets. Au moment de cet appel à projets, nous accueillions des volontaires européens à la Grange et l’un d’eux était justement très motivé pour réfléchir avec nous sur le sujet de la lutte contre les discriminations. Nous avons ainsi entamé toute une réflexion autour de la création d’un kit de prévention du sexisme en milieu festif rural. Ce kit aurait dû être lancé l’année dernière, mais a été reporté à cette année à cause du Covid. L’idée était de faire lien autour de cette question avec les autres partenaires culturels du territoire. De nombreuses actions existent dans des milieux plus urbains, mais nous nous disions qu’il y avait un contexte assez spécifique en milieu rural du fait des publics très différents. En effet, nous ne touchons pas qu’un public déjà sensibilisé. Comme nous souhaitons avoir une certaine mixité, la prévention doit pouvoir toucher tout le monde. Nous nous sommes donc réunis avec nos partenaires locaux : le festival Trad’Hivernales à Sommières, le festival Transes Cévenoles de l’association les Elvis Platinés à Sumène, l’association Eurek’Art qui a une programmation décentralisée en milieu rural et qui fait notamment le festival Label Rue, et l’association Melando qui propose des événements culturels décentralisés au Pic Saint-Loup. Enfin, nous avons proposé un partenariat à la Radio Escapades qui est la radio locale du Sud Cévennes, ainsi qu’à Roxane Rastrelli notre illustratrice.
Dès la mise en place du projet, nous souhaitions réaliser un kit à la fois visuel, sonore et matériel. En février 2021, nous avons donc organisé une formation de 2 jours à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles en milieu festif, qui a été donnée par l’association La Petite de Toulouse. Il y avait beaucoup d’outils assez participatifs auxquels nous avions réfléchis avec La Petite et nous avons consacré le 2ème jour à la réflexion sur la création concrète d’outils. À cette occasion, nous avons acté l’idée d’avoir des jingles sonores à diffuser sur les événements, des affiches graphiques, une charte et des documents annexes.
Depuis février, nous avons réalisé des groupes de travail sur ces sujets : charte, jingles sonores et affiches de sensibilisation. Nous nous sommes réunis, nous avons discuté et retravaillé pour finaliser un « Kit Inclusif et Festif ». Ce KIF a été inauguré le vendredi 2 juillet. Nous avons organisé pour cela une soirée de lancement à La Grange, avec un plateau radio et tous les partenaires qui ont participé à sa création, ainsi qu’avec les réseaux régionaux qui réalisent déjà des actions : le Mouvement H/F Occitanie, Languedoc et Midi-Pyrénées et Label et La Fête, le dispositif de prévention mis en place par le réseau Octopus.
Il y a eu un plateau radio autour de ces questions, un atelier d’autodéfense féministe donnés par Faire Face, une conférence-débat sur le sexisme ordinaire et un concert d’une artiste locale. Le plateau radio a été diffusé le lundi 5 septembre et sera écoutable/téléchargeable sur le site de Radio Escapades .
Les jingles sonores de notre KIF ont été diffusés tout au long de l’événement, entre deux spectacles, au bar… L’idée est de pouvoir capter l’attention de tout le public pour ensuite le diriger vers une mallette pédagogique dans laquelle se trouvent des documents ressources, des fiches pratiques à destination des organisateurs et organisatrices d’événements festifs. Il y aussi un kit visuel de neuf affiches de sensibilisation et une charte qui sera à afficher à l’entrée des festivals et à mettre en annexe des contrat des équipes.
Votre sensibilisation a donc été pour l’instant à destination des professionnel.le.s ?
Cette première étape de sensibilisation a en effet été à destination des professionnel.le.s, mais l’idée finale est qu’elle soit à destination du public. Nous ne nous étions encore jamais rencontrés avec les partenaires locaux sur cette question et il nous semblait primordial de créer un réseau local de partenaires qui s’engagent et avec lesquels nous savons que nous pouvons discuter et nous entraider. À partir de juillet, notre volonté est de diffuser ce KIF sur tous nos festivals pour pouvoir le tester, voir les retours que nous avons dessus, quels sont ses effets et s’il y a des changements à y apporter. Nous prévoyons de nous réunir à nouveau en fin d’année pour faire un bilan, améliorer si besoin ce projet et continuer des actions ensemble.
Vous avez eu l’impression que vos partenaires découvraient ces sujets ou qu’ils avaient déjà amorcé une prise de conscience du problème ?
Je pense que les personnes qui se sont engagées avaient déjà des engagements personnels et pour certain.e.s professionnels sur le sujet. Ce n’est pas pour rien qu’elles se sont positionnées sur ce projet. Il y avait au moins une personne par structure qui étaient motivée, mais qui n’avait jamais pris le temps de mener des actions autour de la prévention en milieu festif. Les Transes Cévenoles et Eurek’Art avaient, par exemple, déjà une programmation autour de thématiques sur l’égalité des genres. Mais concernant la mise en place d’un dispositif interne et externe pour le public, je crois que personne n’avait encore pris de temps pour y réfléchir vraiment.
Il y a deux ans, quand nous avons commencé à réfléchir au sujet et à chercher des partenaires, il y avait moins de dispositifs de prévention qui existait. Aujourd’hui, il y a une floraison de nouveaux dispositifs d’actions et c’est chouette ! De notre côté, cette démarche était l’occasion d’avoir du temps commun, de dédier un véritable temps de travail et des moyens pour une lutte qui nous tient à cœur.
Avez-vous déjà eu à déplorer des incidents graves durant vos événements ?
Nous avons en règle générale un public familial bienveillant et un site « safe » où en 15 ans nous n’avons jamais eu à déclarer d’incidents graves. Mais nous savons que des personnes trop alcoolisées ont commis des agressions verbales ou sexuelles, comme des frottements. Nous avons pu remarquer ces comportements pendant les « after » en fin de soirée (hors soirées publiques). Après les soirées, de nombreuses personnes restent sur le site et c’est dans ces moments qu’il peut y avoir des abus. Notre lieu étant assez isolé et situé en pleine garrigue, nous devons faire face à plusieurs problématiques : nous pouvons difficilement expulser quelqu’un de trop alcoolisé et aux comportements déplacés, prendre le risque que cette personne prenne le volant et ait un accident de voiture. Notre lieu étant très étendu, il est également compliqué d’avoir un œil sur tout ce qui s’y passe et de surveiller les « after sauvages » que le public organise parfois sur le parking. Ce sont des questions que nous tentons de résoudre et pour lesquelles nous essayons de trouver des solutions.
Votre association fonctionne avec des salarié.e.s, mais aussi grâce à des bénévoles ?
Notreéquipe salariée est composée de deux co-directrices qui ont monté le projet et le mènent depuis quinze ans, de 3 personnes en CDI et de moi qui suis en alternance.
À cela s’ajoutent une embauche très régulière d’intermittent.e.s et une équipe de bénévoles qui suit le projet depuis sa création. Nous avons une vie associative assez importante. Chaque année, l’Assemblée Générale et le montage du site sur 2 jours sont des temps forts avec nos bénévoles. De la même façon que nous avons écrit une charte avec nos partenaires, nous souhaitons impliquer nos bénévoles dans la rédaction d’une charte spécifique à notre lieu. La semaine dernière, nous avons organisé une réunion de bénévoles sur la sécurité et les dispositifs de prévention mis en place en interne et présenté le KIF à nos bénévoles.
Comment vos bénévoles ont-ils accueilli ce KIF ?
L’accueil semble plutôt positif ! Nous avons eu quelques retours sur les visuels et nous avons pris en compte ces petites modifications pour l’inauguration et la mise en ligne du KIF, mais nos bénévoles semblaient assez enthousiastes.
Vous connaissez la campagne Ici C’est Cool, qu’en pensez-vous ?
Nous nous sommes beaucoup appuyé.e.s sur les ressources et les conseils proposés par Ici C’est Cool. Lors des formations, nous avions par exemple imprimé des exemples de chartes et affiches existantes qui nous ont permis de définir vers quoi nous souhaitions aller. L’esthétique des visuels Ici C’est Cool est très frappante, mais n’aurait pas forcément été adaptée pour notre lieu, même si nous souhaitons nous aussi lutter contre toutes les discriminations : les LGBTphobies, le racisme, le classisme (ndlr : Le classisme est une discrimination fondée sur l’appartenance ou la non-appartenance à une classe sociale, souvent basée sur des critères économiques) et même les discriminations liées à l’âge. Nous souhaitons vraiment lutter contre toutes les formes d’oppressions. Nous avons hâte maintenant de découvrir les effets de notre KIF sur notre équipe, notre public et nos bénévoles et les changements qu’il va permettre.
Pour conclure, quels sont vos espoirs pour la suite ?
Le sujet des violences sexistes et sexuelles est un sujet que l’on aborde de plus en plus. C’est positif car cela signifie que nous allons pouvoir mettre en place de plus en plus d’actions avec moins de braquage. Cela peut surtout amener des discussions qui éviteront la violence, toutes les violences.
La dynamique en réseaux avec nos partenaires culturels de la région est très porteuse également, avec l’idée de réitérer des journées et soirées sur ces thématiques chaque année et de continuer à avancer de façon collective sur ces sujets.
Propos recueillis par Fabienne Jacobson