Difenn, un bouclier multi-facettes contre les violences sexistes et sexuelles
« Il s’agit de créer des espaces de discussion autour de thématiques telles que les stéréotypes de genre, le consentement, le sexisme, l’homophobie… On essaye de transmettre une vision d’ensemble, en créant du lien entre toutes ces grandes notions »
Clotilde Burté (Difenn)
Clotilde Burté est l’une des deux salariées de l’association Difenn, à Quimper. Référente des ateliers de sensibilisation, elle propose – avec Cécile Jacque, la fondatrice – des outils de conscientisation, de défense et de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Entretien.
Qui êtes-vous Clotilde ? Quand avez-vous intégré l’équipe de Difenn, et qu’est-ce qui vous a poussé vers ce projet ?
Initialement je suis formatrice et coordinatrice auprès des personnes en situation de handicap mental. Originaire des Monts d’Arrée, j’arrive en Bretagne en 2010 et je me consacre à la danse, que je pratique depuis mes 5 ans. Quelques temps et deux enfants plus tard, j’entre au Planning Familial de Morlaix et dans plusieurs collectifs féministes militants. J’arrive à Difenn en septembre 2019, c’était une évidence pour moi : porter à titre professionnel ce que je défends et ce pour quoi je milite depuis des années : l’égalité femmes-hommes.
Difenn est née en 2014. C’est une association féministe qui lutte pour les droits des femmes et LGBTQIA+ via des actions de prévention des violences sexistes. Lesquelles ?
Principalement via des ateliers et des stages d’autodéfense féministe à destination des jeunes filles et des femmes adultes. Poser ses limites, apprendre à se défendre et favoriser l’encapacitation (empowerment) en sont les principaux objectifs. Nous animons aussi, auprès du jeune public, des ateliers de sensibilisation intitulés « Genres et Sexualités ». Ici, il s’agit de créer des espaces de discussion autour de thématiques telles que les stéréotypes de genre, le consentement, le sexisme, l’homophobie… On essaye de transmettre une vision d’ensemble, en créant du lien entre toutes ces grandes notions. En quoi les stéréotypes et la culture du viol sont-ils corrélés ? Quels sont les ponts entre sexisme et homophobie ? Entre sexisme et identités genrées ? Entre stéréotypes et sexualité phallocentrée ? Tout un programme.
A quoi ça ressemble, un stage d’autodéfense verbale par Difenn ? Que viennent y chercher les personnes qui participent ?
D’abord, cela permet d’apprendre à poser ses limites car avant de pouvoir dire non, on a besoin de se sentir légitime à dire non. C’est un gros travail sur la confiance en soi mais aussi de déconstruction vis-à-vis de la socialisation genrée. Nous tentons d’inculquer des techniques concrètes de communication non verbale, telles que la transmission de postures, le langage du corps (via des exercices et des jeux), mais aussi des techniques de défense verbale passe-partout. Ces dernières se déclinent en trois phrases : écrit et oral, immédiate et différée, à des personnes connues et inconnues. Pour les personnes qui participent à ces stages, il s’agit de se sentir plus fortes, légitimes à dire non, et surtout constater qu’elles ne sont pas seules, s’encourager entre elles dans un esprit de solidarité et d’entraide.
Vous animez des temps de sensibilisation auprès du jeune public. Depuis vos débuts, qu’est-ce qui a changé dans le discours des enfants, des jeunes que vous rencontrez ?
Il y a beaucoup plus de connaissances, les jeunes parlent de personnes « trans, intersexes, non binaires » par exemple, mais sans pour autant bien maîtriser la signification de ces mots.
On sent qu’il y a beaucoup de questionnements de la part des garçons, mais qu’ils sont paumés et en manque de représentations masculines modernes – non toxiques – et sont donc souvent sur la défensive. On note aussi clairement la différence entre les plus jeunes (11-14 ans) et les plus âgés : quand ils commencent à être sexuellement actifs, à avoir des relations affectives, ils se réfugient dans leur identité genrée et développent des attitudes, des propos et des comportements ouvertement sexistes. Les filles quant à elles ont intégré que leur genre est une source d’oppressions. Même jeunes, elles ont des récits de violence (harcèlement par exemple, mais pas que) à partager.
Si je suis aussi binaire dans ma description, c’est parce que c’est ce que l’on observe. Les personnes « out » en termes de genres et/ou de sexualités (c’est-à-dire, qui ne sont ni cisgenre, ni hétéro) sont très rares au collège, au lycée et dans les écoles. Le milieu scolaire est extrêmement normatif, hétérocentré, raciste et homophobe. J’y vais fort, mais c’est pour illustrer la non visibilité des personnes qui se trouvent hors du cadre, et qui sont incitées à polir, taire ou cacher leur différence. Pour inciter ces profils à se manifester, nous animons volontairement nos ateliers de manière inclusive, ainsi les personnes en questionnement se sentent prises en compte, et viennent souvent nous parler à la fin.
L’espoir est permis donc ?
L’espoir est permis bien sûr, mais la tâche est grande !
Depuis un an vous proposez également vos ateliers d’autodéfense aux festivals. Pour le public ou pour les organisateurs·rices ? Déployez-vous d’autres outils auprès des acteurs du spectacles vivant et des musiques actuelles ?
Oublions deux minutes qu’on est en 2020 et que tous les évènements festifs sont en stand-by… Nous avons effectivement deux axes en développement. Le premier porte sur la prévention des violences sexistes en milieu festif via la formation des équipes organisatrices/permanentes, l’accompagnement à la rédaction des chartes internes/externes, de règlements intérieurs et de protocoles de sécurité, et la tenue de stands de prévention sur les lieux.
Nous souhaitons également développer les formations pour les professionnels.les et auprès de nos bénévoles : formation à l’animation d’ateliers Genres et Sexualités pour les bénévoles de l’associations, formation sexisme en milieu professionnel : sensibilisation, conscientisation et autodéfense verbale, journées de sensibilisation : violences faites aux femmes, LGBTphobies, violences en milieu scolaire ou encore violences faites aux enfants.
En quoi les milieux festifs constituent-ils des zones particulières en matière de violences sexistes et sexuelles ?
Pour plusieurs raisons ! Certaines évidentes, d’autres moins. Il n’est plus à démontrer que la consommation de produits illicites, d’alcool et la nuit sont des facteurs de dangerosité. Mais il existe aussi des éléments plus subtils : des espaces pas toujours très bien pensés (manque d’éclairage, éloignement…), une programmation pas toujours inclusive, qui favorise les agressions… Il est primordial selon nous d’associer réduction des risques et prévention des violences. Ce qu’il faut faire valoir, c’est qu’aucun type de consommation ne se substitue au consentement et au respect. Peu importe l’état dans lequel on se trouve, cela ne constitue jamais une circonstance atténuante, mais au contraire, une circonstance aggravante.
Dans les milieux festifs, la culture du viol est particulière présente, il suffit d’écouter : « ouais mais bon il était bourré ! », « non mais elle ne se rappelle même plus ! », « avec sa tenue, il ne faut pas s’étonner qu’il lui arrive des bricoles ! » et toutes sorte de réponses qui viennent légitimer des comportements inacceptables parce que c’est la nuit, c’est la fête. Comme si le lâcher prise pouvait tout justifier !
Féministe donc, Difenn est aussi bilingue français / breton. En quoi la pratique du breton est-elle un apport pour l’association ?
C’est d’abord un élément constitutif de l’identité de l’association : la lutte pour la langue, la culture, et la lutte féministe se rencontrent. Structurellement, nous avons constaté que les violences émises à l’encontre d’une femme et d’une personne bretonnante sont très proches. Mais c’est aussi une question d’accessibilité : le breton est présent dans la vie quotidienne de beaucoup de gens. Or, les violences sexistes, c’est la vie quotidienne ! Il est donc important de pouvoir décliner nos propositions et nos outils dans cette langue.
Difenn aujourd’hui ce sont deux salariées et 12 bénévoles. Bien que l’association soit ouverte à tous et toutes, ce sont exclusivement des femmes qui composent vos effectifs, pour l’instant. Comment inciter les hommes à s’engager concrètement dans des structures telle que Difenn ?
Ce point est un chantier à part entière. J’ai croisé beaucoup trop d’hommes cisgenre (hétéro pour la plupart, mais pas que) qui se disent féministes mais qui visiblement n’ont pas compris ce que ça veut dire, ce que ça implique. Ce sont des situations extrêmement pénibles.
Les hommes (tous genres et sexualités confondues) déconstruits vis-à-vis du genre et de leur masculinité sont certes de plus en plus nombreux, mais toujours pas assez nombreux. J’aimerais beaucoup que des hommes, et pas systématiquement des femmes portent ces questions autour des masculinités toxiques, émancipatrices, et de la déconstruction. Donc bienvenue à eux ! Cela étant dit, on n’a pas à les inciter. Et puis quoi encore ? Se prendre en main, apprendre à écouter, travailler sur ses privilèges et choisir de devenir un allié, c’est une démarche qu’ils doivent faire seuls, comme des grands. Adéquations propose un dossier documentaire sur l’approche des masculinités et la participation des hommes à l’égalité, ça peut peut-être aider…
Propos recueillis par Agathe Petit