À Astropolis, les musiques sont actuelles, les comportements doivent l’être aussi !

À Astropolis, les musiques sont actuelles, les comportements doivent l’être aussi !

« Ce qui a été révélé en 2020 dans le milieu du sport, du cinéma a prouvé que le milieu festif n’était pas un cas isolé. Nous ne pouvons plus faire comme si de rien n’était et c’est tant mieux ! »

Madenn Preti (Astropolis)


Madenn Preti est administratice du festival Astropolis en Bretagne. Elle nous raconte les initiatives mises en place pour lutter contre les violences sur l’événement. Rencontre.

Bonjour, pouvez-vous commencer par vous présenter ?

Madenn : Je m’appelle Madenn, j’ai 37 ans et je suis Administratrice du festival Astropolis. J’y travaille depuis plusieurs années et nous avons commencé à mettre des choses en place depuis 2019 pour rendre notre festival plus safe et plus inclusif.

Pouvez-vous nous parler de votre festival ?

Astropolis est un festival de musiques électroniques qui se déroule à Brest et à Guilers au Manoir de Keroual, près de Brest, ainsi que dans divers lieux emblématiques de la ville, le premier week end de juillet. Il existe depuis 25 ans et cette année aurait dû être notre 26ème édition de l’été.

C’est un des événements important dans l’esthétique des musiques électroniques en France. Gildas Rioualen et Matthieu Guerre-Berthelot sont les fondateurs  et coorganisateurs du festival. Depuis 2012, une édition hivernale du festival est organisée au mois de février. Nous développons au sein de l’association d’autres activités. Nous menons des actions culturelles tout au long de l’année auprès de différents publics. Nous avons également deux labels : Astropolis Records et Dôme qui nous permet d’accompagner les tremplins d’Astropolis plus longuement que seulement sur le temps du festival. Enfin, nous sommes producteurs. Nous accompagnons les artistes lors de leur création en vue de leurs tournées et sorties d’album.

Combien de salariés et de bénévoles travaillent sur votre festival ?

Sur le temps du festival été il y a une centaine de techniciens et techniciennes et 450 bénévoles pour 10 000 festivaliers pour la soirée de clôture.

Quel constat vous a amené à mettre en place des actions pour lutter contre les violences sur votre festival ?

Ce n’est pas un constat dans le sens où ce n’est pas un phénomène récent, mais l’avènement de certains mouvements a permis aux femmes d’être plus entendues. Elles ne parlent pas plus aujourd’hui, mais on les écoute plus. Ce n’était pas une découverte pour Astropolis de se rendre compte qu’il y avait des problèmes de violences sexistes et sexuelles sur le festival (nous ne sommes pas un cas isolé et le milieu festif ne l’est pas non plus), mais il y avait urgence à prendre le train en marche des initiatives. Notre réflexion était que nous n’avions pas le droit de ne rien faire, de ne pas nous préoccuper de ce problème et de faire comme si cela ne nous concernait pas. C’est une réalité qui s’étend à tous les milieux. Aujourd’hui on ne peut plus ignorer le fait qu’il se passe des choses. Ce qui a été révélé en 2020 dans le milieu du sport, du cinéma a prouvé que le milieu festif n’était pas un cas isolé. Nous ne pouvons plus faire comme si de rien n’était et c’est tant mieux !

Quelles sont donc les actions que vous avez mises en place ?

Nous avons décidé de nous lier principalement à deux associations. Nous travaillons donc avec Difenn qui est basée à Quimper et qui propose des ateliers d’autodéfense féministe. Difenn a développé spécifiquement des ateliers pour le festival Visions d’abord puis pour d’autres festivals comme Astropolis. Difenn leur a donné le nom « d’Ateliers d’autodéfense féministe en milieu festif ». Ce sont des ateliers qui se déroulent sur un temps de deux heures et demi. Nous en avons proposé un à l’édition hiver et deux à l’édition été. Nous avons également travaillé avec Consentis pour pouvoir proposer un stand de prévention et imaginer ensemble un protocole. C’est avec plaisir qu’elles sont venues et le partenariat a très bien marché. Elles nous ont aidé à rédiger une charte à destination des salariés et bénévoles, une charte à destination du public et à mettre en place un protocole afin que le stand Consentis soit identifié comme « Le point relais agressions sexistes et sexuelles ». Le stand sert à relayer les agressions dont on a été victimes ou auxquelles on a assistées. Consentis était en lien avec les régisseurs et notre chargé de sécu afin de pouvoir les prévenir aussitôt. La première année, ce protocole n’a pas été hyper efficace, mais cela nous a permis de savoir vers quoi tendre pour le rendre plus efficient. Les chartes que nous avons développées ont permis de faire évoluer les mentalités, notamment chez les équipes salariées et bénévoles.

Quel a été l’accueil que ces chartes ont reçu ?

Le public l’a découverte le soir du festival. Le stand de Consentis a été hyper bien reçu et le retour des festivaliers et festivalières est qu’il faut que nous allions plus loin dans le développement de ce genre d’actions. Du côté salariés et bénévoles, cela a fait beaucoup discuter et réfléchir sur la manière dont ils se comportaient et sur la manière dont ils s’exprimaient entre eux. Ce sont essentiellement les hommes qui se sont questionner sur leur attitude face aux femmes. Le point positif c’est que ça a énormément débattu autour de cette charte et donc qu’elle a été lue. Qu’ils soient convaincus ou non de faire les choses déjà comme il faut, l’idée est de poser les graines qui germent pour de meilleures relations d’égalité femmes/hommes. À terme, nous visons également une parité dans les équipes. Dans les équipes bénévoles, c’est déjà le cas, mais pour qu’il y ait plus de femmes dans les équipes salariées, il faut qu’il y ait plus de femmes qui se sentent légitimes à travailler dans ces milieux pour pouvoir postuler. L’accueil a donc été très bon, les gens mécontents ne se sont pas manifestés et nous avons senti un réel engouement et une véritable attente.

Comment fonctionne un atelier d’autodéfense ?

Il s’agit d’ateliers en non mixité. Difenn les dispense habituellement sur deux jours et les a adaptés dans un format plus court de deux heures et demi pour que les femmes qui ont envie d’y participer puissent avoir le temps de le faire. Difenn a pris des situations entendues dans des festivals et les a soumises aux festivalières en leur proposant des méthodes pour se sortir rapidement d’une situation d’agression. Il ne s’agit absolument pas d’ateliers de self-défense ou de combat. Nous ne pensons pas que c’est aux femmes d’apprendre à se défendre, mais aux garçons d’apprendre à se déconstruire et à s’éduquer face à ce qu’on leur enseigne depuis qu’ils sont tout petits. Malheureusement, c’est très long. L’objectif à Astropolis est que les femmes se réapproprient le dancefloor et que nous ayons autant de femmes que d’hommes dans notre public. Proposer des techniques verbales ou physiques aux femmes permet de les faire sortir d’un carcan victimaire dans lequel on les place souvent et d’être autonomes.

Avez-vous vous-même suivi un de ces ateliers ?

Tout-à-fait ! Et je confirme que c’est très efficace pour se dire qu’il n’y a pas de fatalité et qu’on peut se sortir d’une situation allant de l’inconfort à l’agression.

En février 2020, vous avez organisé une table ronde, pouvez-vous nous en parler ?

Nous avons en effet proposé une table ronde à destination des acteurs des musiques actuelles (festivals et salles). L’idée était de revenir sur ce que nous avions proposé à Astropolis en 2019, de présenter nos actions et de voir comment dans un deuxième temps nous pouvions agir tous ensemble maintenant que nous avions fait ce constat et mutualiser nos ressources. Il y avait Gaëlle Abily qui est Directrice Régionale aux Droits des Femmes et à l’Égalité (DRDFE) en Bretagne, Frédérique Pondemer qui est Responsable du pôle Égalité des droits et innovation sociale au Conseil régional de Bretagne, le Planning Familial, Difenn, Consentis et le collection Orange Bleue, qui est une association de réduction des risques en milieux festifs, Louise EDE du Centre national de la musique qui était là pour présenter le programme égalité femmes/hommes, qui a été un des programmes qui nous a soutenus dans nos actions, et moi-même. Cette table ronde s’est déroulée en deux temps :

– Echanger entre acteurs associatifs, organisateurs de festivals, acteurs des musiques actuelles et institutions pour mieux appréhender les enjeux et les solutions,

– Réfléchir aux besoins et au développement d’outils communs de prévention, afin d’agir au-delà des constats.

Difenn et Consentis ont pu exposer leurs propositions concrètes. Je suis revenue sur les actions que nous avions menées à Astropolis. Gaelle Abily et Férédérique Pondemer représentante des Pouvoirs Publics sont revenues sur la question des chiffres, des constats établis. Ça a été l’occasion de rappeler les chiffres de la société civile et la situation actuelle en France et que notre milieu n’échappe pas à cela. La question dans un second temps était de savoir comment mutualiser nos ressources et nos idées pour avoir une action commune au sein des festivals et des salles de musiques actuelles à l’image de la campagne Ici C’est Cool.

Quelles ont été les conclusions de cette table ronde ?

À l’issue de cette table ronde, il y avait une volonté commune des acteurs et actrices présent.e.s de mettre des choses en place. Nous avons une première réunion de groupe de travail, ouverte à tout.e acteur et actrice concerné.e par ces questions dans les musiques actuelles, en septembre pour voir comment faire émerger des actions communes. C’est pour le moment un peu restreint à une esthétique car nous proposons des formats qui nous sont propres. Une chose est sûre, nous souhaitons travailler avec des associations de terrain qui savent faire, s’entretenir avec les festivaliers et festivalières, accompagner avant, mais aussi après.

Quels sont les futurs projets d’Astropolis ?

Nous espérons très vite pouvoir reprendre notre activité. Les musiques électroniques sont particulièrement touchées. Dès que nous aurons l’autorisation de faire quelque chose, nous souhaitons remettre tout en marche avec Consentis et proposer au minimum ce que nous avons déjà proposé. L’idée est maintenant de discuter avec les autres lieux de musiques actuelles pour voir comment faire passer le message qu’ensemble désormais nous ne tolérerons plus ces comportements dans nos événements et nos lieux et comment nous faisons concrètement sur place pour ouvrir des dialogues.

Quel est votre sentiment sur la campagne Ici C’est Cool ?

Nous en avions parlé avec le collectif du festival quand nous commencions à mettre nos actions en place en juin 2019. Maryline Lair, la Directrice du Collectif des Festivals m’avait suggéré de regarder ce que faisait Ici C’est Cool. À l’époque, ils proposaient une campagne d’affichage et nous avions déjà nos propres éléments de communication : notre charte destinée aux salariés et bénévoles et notre charte destinée au public dans la charte graphique d’Astropolis. Nous avions également sorti des points de communication spécifiques au site pour que les gens puissent repérer le stand Consentis comme étant le point relais aux agressions sexistes et sexuelles. Nous ne souhaitions pas rajouter un d’autres éléments de communication afin de ne pas brouiller les messages. Nous ne nous étions donc pas rapprochés d’Ici C’est Cool à l’époque. Lors des Biennales du Spectacle à Nantes, j’ai assisté à une table ronde où Ici C’est Cool présentait sa campagne. Cela m’intéressait car notre propre table ronde avait lieu deux mois après sur cette même thématique. À l’époque, ils avaient réussi à faire passer un message avec cette campagne, mais ne proposaient pas encore de formations. En juin 2020, j’ai suivi les deux formations qu’ils proposent désormais : celle sur l’égalité femmes/hommes et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles et l’autre sur la question de l’homophobie et du racisme en milieux festifs. Les deux formations étaient essentielles. La première était dispensée par le CFCV et la deuxième par une universitaire. C’est suite à ces formations que nous avons adhéré à Ici C’est Cool. En octobre 2020, il y aura une première journée de formation conjointe avec le Collectif des Festivals et Ici C’est Cool à Brest sur comment aider les festivals à mettre en place des protocoles. C’est l’association Difenn qui interviendra. Un véritable lien commence à se créer entre les acteurs et actrices des musques actuelles et de la prévention.

Êtes-vous confiante sur le fait que les choses évoluent dans le bon sens dans les années à venir ?

Nous arrivons à faire passer nos messages. Nous connaissons actuellement un lourd ralentissement de nos activités et il ne faudrait pas laisser tout cela de côté quand les choses vont reprendre. Je ne peux qu’espérer que les choses s’améliorent et c’est pour cela que nous mettons toutes ces initiatives en place !

Propos recueillis par Fabienne Jacobson