Avec Act Right, la lutte contre les violences ne s’arrête pas aux milieux festifs !
« Nous souhaitons à terme en faire un label de qualité en proposant des solutions concrètes à tous les professionnels sur les questions de sécurité, d’inclusion, de réduction des risques et d’écologie et que chaque année ils rajoutent une des propositions que leur faisons »
Marion Delpech – (Act right)
Cindie le Disez et Marion Delpech travaillent toutes les deux dans le milieu des musiques électroniques et pour Technopol. Ensemble, elles viennent de fonder l’association Act Right, qui a vocation à devenir un véritable label. Rencontre.
Bonjour, pouvez-vous commencer par vous présenter ?
Marion : Je m’appelle Marion et j’ai 29 ans. À la base, j’ai monté le collectif PWFM qui organise des soirées électroniques, principalement sur Paris, et également un media. Je fais également partie de Technopol, l’asso qui défend les cultures électroniques avec des événements comme La Techno Parade et La Paris Electronic Week. Et je travaille beaucoup sur la question de la place des femmes avec deux projets : Provocative Women For Music, avec des conférences et de la sororité, et Des Colérées qui vise à recréer du lien entre les femmes dans la culture en général, suivant le constat que nous sommes souvent éparpillées à droite à gauche avec pourtant les mêmes problématiques et qu’il est étrange de ne pas converger avec des gens d’autres milieux.
Cindie : Je m’appelle Cindie et j’ai 38 ans. J’ai co-fondé l’agence de booking et de management AMS Booking. Je fais également partie de Technopol avec Marion et co-fondatrice de Act Right avec elle.
Quand Act Right a-t-elle été fondée et comment vous est venue l’idée de monter cette asso ?
Marion : Cindie et moi nous sommes rencontrées en septembre 2019. Comme j’organise pas mal de soirées, je commençais à travailler sur la sécurité côté public. Cindie de son côté se posait pas mal de questions car elle avait rencontré des problèmes pour la sécurité de ses artistes. Nous avions envie d’être pro-actives plutôt que de nous contenter d’afficher quelques règles de bonne conduite que personne n’applique. En commençant à en parler, nous nous étions dit que les premiers axes à revoir étaient notamment le personnel accueillant – les membres de la sécurité sont souvent pas ou mal formés pour recevoir du public majoritairement alcoolisé -, et la formation des équipes organisatrices, qui ne savent pas non plus gérer les problèmes d’agressions. Une question en amenant une autre, le projet s’est étendu. Dès le départ, nous souhaitions aborder les questions de minorités, de parité et d’inclusion, auxquelles se sont ajoutées les questions d’intersectionnalité (concept visant à révéler la pluralité des discriminations de classe, de sexe et de race), d’écologie et de réduction des risques qui en fait se rejoignent toutes. C’est ainsi qu’Act Right est devenu un projet un peu plus large. Nous souhaitons à terme en faire un label de qualité en proposant des solutions concrètes à tous les professionnels sur les questions de sécurité, d’inclusion, de réduction des risques et d’écologie et que chaque année ils rajoutent une des propositions que leur faisons. Nous leur mettons toutes les informations à disposition afin qu’ils n’aient plus de raison de dire « Je ne peux pas le faire car c’est trop compliqué. Je ne sais pas comment faire ».
Cindie : Nous avons commencé à travailler sur le sujet en septembre 2019 et nous avons monté la structure à l’été 2020. Nous sommes toutes les deux parisiennes, mais entre Marion et moi, nous travaillons quasiment avec tous les professionnels de la musique électronique sur le territoire. L’idée est de commencer en touchant toutes les personnes avec lesquelles nous travaillons nationalement, mais ce projet a ensuite vocation à être porté à l’international, surtout en Europe dans un premier temps.
En quoi l’écologie fait partie du projet ?
Cindie : Nous travaillons sur des mesures de développement durable. Nous proposons des solutions comme le zéro plastique à usage unique, des groupes électrogènes qui fonctionnent à l’énergie solaire. Nous décryptons aussi la norme ISO 20121 et l’agenda 21 de la culture qui sont très compliqués en mettre en place. L’idée est de faire une simplification pour tous les professionnels avec par exemples comment réduire son empreinte carbone, travailler avec les producteurs locaux, récolter des fonds à reverser à une association…
Combien êtes-vous à travailler chez Act Right ?
Cindie : L’association, c’est nous deux ! Mais nous travaillons avec d’autres personnes pour mutualiser les savoirs et les compétences des acteurs qui sont déjà sur le terrain. Sur la question de la formation du personnel encadrant, nous travaillons avec Consentis qui réalise une demi-journée de formation par structure, renouvelable tous les ans pour le nouvel personnel, entre 1500€ pour les plus grosses structures et des tarifs solidaires pour les plus petites. Nous travaillons également avec une avocate qui s’est chargée de faire le manifeste reprenant tous les points nécessaires pour obtenir le label : avoir fait suivre la formation, embaucher du personnel ayant suivi la formation et rajouter tous les ans une mesure écologique et une mesure de réduction des risques… Elle s’est aussi occupé des contrats et prend part à tous les débats sur l’application que nous sommes en train de créer. En effet, un gentil développeur s’est proposé pour nous créer une application gratuitement ! Nous sommes donc une petite équipe de six personnes qui travaillent sur le projet de l’appli. Sur notre campagne d’affichage, nous avons également une petite équipe de six bénévoles qui travaille avec nous.
Vous avez lancé votre site. Une appli et une campagne sont donc également à venir ?
Marion : L’appli devrait arriver à l’automne. La campagne arrivera quant à elle d’ici fin septembre. Nous aimerions faire de l’affichage dans la rue, car même si les clubs sont fermés pour le moment, il y a des fêtes organisées et cela n’enlève pas la nécessité de communiquer sur ces sujets. La campagne étant en cours de création, je ne peux pas encore vous en dire plus… Elle parlera évidemment de tout ce qui concerne les agressions. L’idée est de ne pas blâmer les gens, mais de faire quelque chose de pédagogique, joli et constructif.
Cindie : Nous souhaitons en effet faire une campagne nationale responsabilisante et non culpabilisante. Nous voulons uniformiser le message pour avoir la même communication à Lille, Lyon ou Marseille. Nous faisons tout un protocole d’action pour la mettre à disposition des professionnels et qu’ils l’affichent dans des endroits visibles de leurs lieux : à l’entrée, aux vestiaires, dans les toilettes… Pour plus d’impact, nous voudrions que tous les lieux festifs affichent le même message.
L’asso travaille-t-elle en auto-financement ou avec des subventions ?
Cindie : Pour le moment, nous sommes uniquement en auto-financement et ce n’est que du travail bénévole, mais nous avons effectivement l’idée d’aller chercher des financements. Nous nous débrouillons actuellement avec les moyens du bord, nos connaissances et les gens qui ont envie de s’impliquer dans le projet… Et cela fonctionne plutôt pas mal !
Vous avez l’idée de créer une hotline, pouvez-vous nous expliquer cela ?
Cindie : Pour cela, nous allons nous rapprocher du CFCV. L’idée est que la ligne du 3919 soit ouverte la nuit et le week-end, puisque la majorité des agressions ont lieu à ces moments-là. À l’heure actuelle, les victimes n’ont pas tout de suite un numéro à appeler car ce numéro ne fonctionne pas la nuit. Or nous constatons que quand elles n’agissent pas tout de suite, les victimes ont tendance à ne rien faire ensuite. Nous pensons qu’il serait intéressant d’utiliser un numéro déjà identifié et qui fonctionne très bien et d’arriver à le mutualiser pour la nuit. L’avocate avec laquelle nous travaillons est en train de monter La Maison des Âmes avec Sandrine Bonnaire. Il s’agit d’un lieu destiné à aider les femmes victimes de violences, un lieu d’accueil pour les aider à repartir dans la vie. Elle aussi est intéressée par l’idée de monter une hotline et nous nous sommes dit que ce serait judicieux de mutualiser pour créer quelque chose sur de l’existant.
Votre volonté est donc que Act Right dépasse les milieux festifs ?
Cindie : Nous nous disons en effet que les mesures que nous mettons en place peuvent s’adapter à de nombreux autres milieux. De même pour notre application, nous nous sommes rendu compte que c’était bien de travailler sur la question du lieu, mais que la problématique concerne aussi moment où l’on part de chez soi et le moment où l’on rentre. La prise en compte du trajet est donc elle aussi essentielle. Sur le lieu, l’application servira à être géolocalisé.e et cette géolocalisation sera directement transmise à la sécurité et à l’organisation de la soirée. Nous souhaitons que la vidéo et le son se mettent automatiquement en route quand l’application est ouverte. Ainsi, en cas d’agression, cela pourra permettre de recueillir des preuves pour la police. Mais nous réfléchissons aussi à un système sur le trajet avec une géolocalisation où les gens autour pourraient recevoir une notification pour pouvoir venir en aide si la victime est dans un rayon de 150m. Cette fonctionnalité pourra servir dans de nombreux cas, et pas uniquement en soirée.
Vous êtes donc sur la protection des victimes en général ?
Cindie : Nous étions à la base parties sur la protection des femmes, mais nous avons rapidement fait le constat qu’il n’y a pas que les femmes qui se font agressées. Dans notre milieu, le plus gros taux d’agressions se fait dans les soirées queer. Les agressions concernent tout le monde et nous avons donc la volonté d’intégrer aussi les hommes dans notre bataille car beaucoup se sentent concernés et ont envie d’agir. Nous partons du principe que le changement ne se fera que si tout le monde est impliqué, les hommes comme les femmes.
Quels sont les futurs projets de Act Right ?
Cindie : Nous avons pris contact avec les trois plus gros VTC (Uber, Kaptain et Heetch) avec lesquels nous allons faire des groupes de travail pour imaginer des solutions pour que les trajets soient plus pérennes. Sur la question de la formation individuelle de la sécurité, nous souhaitons monter toute une équipe pour répondre à ce besoin spécifique qui pourra être financé par l’employeur. Sur la question de la réduction des risques, nous travaillons avec Nuits Parallèles qui travaille avec Médecins du Monde sur la création d’une plateforme digitale où tous les points de testing et de stands de prévention seront affichés en temps réel et où l’on pourra retrouver tous les numéros utiles. Enfin, pour le moment, notre site est un site vitrine mais nous allons prochainement créer un espace adhérents où les professionnels pourront trouver toutes les solutions que nous allons proposer. Nous avions envie de proposer un projet global, la COVID a pour cela été un mal pour un bien, car cela nous a donné plus de temps pour réfléchir. Encore une fois, notre idée est vraiment de mutualiser et de relayer toutes les actions qui sont menées par différents acteurs, à Paris et en régions. J’ai l’impression qu’il y a eu une prise de conscience du public et des professionnels avec toutes les fêtes qui se sont déroulées sans organisations et où il y a eu de nombreux viols et agressions. Nous sommes plutôt confiantes pour la suite sur le fait que les choses changent enfin !
Et que pensez-vous de la campagne de prévention mise en place par « Ici C’est Cool » ?
Cindie : J’adore les visuels avec ces corps nus recouverts d’insultes. Je trouve cette campagne vraiment géniale, jolie visuellement et très impactante.
Propos recueillis par Fabienne Jacobson