Le planning familial 33 à l’assaut des violences sexistes et sexuelles en milieu festif

Le planning familial 33 à l’assaut des violences sexistes et sexuelles en milieu festif

« Il faut faire attention lorsqu’on parle de prévention : ce n’est pas aux victimes de changer leurs comportements mais bien aux potentiels auteurs de violences de ne pas les commettre ».

Camille Contré


Camille Contré est animatrice de prévention au planning familial de Gironde (33).
Permanences d’écoute, d’information, d’orientation sur les questions de sexualités et/ou de violences, animation de séances d’éducation à la vie affective et sexuelle, formations de « jeunes relais » ou de professionnel.le.s… Les missions ne manquent pas ! La lutte contre les violences sexistes et sexuelles en milieux festif en fait désormais partie.

Quelle est votre « histoire » avec le planning familial ? 

Ma première rencontre avec le Planning Familial date de mes 16 ans, lorsque j’ai souhaité mettre en place ma première contraception sans en parler à ma famille. Ensuite, lorsque j’étais étudiante en BTS Économie Sociale Familiale (ESF) en 2010, plusieurs étudiantes de ma promotion et moi-même avons suivi la formation « jeunes relais » dispensée par l’association afin d’intervenir auprès des élèves de Secondes de mon lycée sur des séances d’éducation à la vie affective et sexuelle.

Ce projet et la démarche de l’association m’ont beaucoup plu, c’est pour cette raison qu’en 2016 j’ai proposé ma candidature spontanée au Planning Familial 33 qui a abouti à mon embauche en tant qu’animatrice de prévention. Depuis, j’ai bénéficié des parcours de formation « Éducatrice à la vie Affective et Sexuelle », « Formatrice » et enfin « Conseillère Conjugale Familiale » qui se termine en 2021.

Mon féminisme a également évolué depuis mon entrée au Planning Familial. Je ne connaissais pas le militantisme, mais je suis devenue militante, en adhérant pleinement aux valeurs de l’association.

Pouvez-vous nous parler de votre mémoire, consacré aux violences sexistes et sexuelles en milieux festifs ? Les violences sexistes et sexueles sont un sujet récent (au sens où on en parle), qu’est-ce qui vous a orienté dans cette voie ? 
Je suis en train d’écrire un mémoire dans le cadre de ma formation de Conseillère Conjugale Familiale (CCF) au Planning Familial Nouvelle Aquitaine sur la « prévention et la prise en charge des violences sexistes et sexuelles en milieu festif ».

Depuis mes 16 ans, j’ai toujours été attiré par l’évènementiel et les milieux festifs. Dans les festivals, je me rendais à chaque fois aux stands de prévention. J’espérais déjà pouvoir travailler dans ce domaine. En arrivant au Planning Familial, j’ai intégré le « groupe jeunes » de la Confédération Nationale du Planning Familial à Paris. Un des projets était de développer la prévention en milieu festif. Après avoir participé à quelques festivals avec ce groupe jeunes, j’ai souhaité développer ce projet localement.

J’ai observé que tenir un stand de prévention ne se résume pas à présenter des brochures. Pour que le public fréquente un stand, il faut proposer des outils d’animation ludiques. Avec l’aide de militantes, nous avons développé plusieurs outils ludiques et donc participatifs, replaçant les participant.e.s dans un rôle plus actif, la fréquentation de nos stands a, depuis,  augmenté considérablement.

Que ce soit dans ma vie personnelle ou professionnelle, j’ai observé également que de nombreuses situations de violences sexistes et sexuelles pouvaient avoir lieu dans ces temps festifs. D’après l’étude Consentis réalisée en 2018, « Plus d’une femme sur deux (60% des répondantes) témoignent avoir déjà été victimes de violences sexuelles dans un établissement festif. » Ce sujet me semblant peu traité, j’ai donc souhaité orienter mon mémoire vers cette thématique en espérant, à l’issue, mettre en place des actions concrètes que ce soit dans la prévention mais aussi dans la prise en charge des victimes de violences sexuelles en milieux festifs.

J’ai réalisé 3 questionnaires :

Un à destination des personnes fréquentant les milieux festifs

Un à destination des organisateurices de milieux festifs 

Un à destination des CCF  

Concernant l’étude auprès des personnes fréquentant les milieux festifs, à ce jour, il ressort que 56% des répondant.e.s ont déjà été victimes d’agressions sexuelles en milieu festif et 16% d’entre elles victimes d’un viol. C’est un chiffre important qui montre l’ampleur des violences sexuelles dans ces milieux.

Plus de 300 réponses à ce questionnaire public, partagé par le célèbre Dr Kpote ! Vous attendiez-vous à autant d’intérêt, « d’engouement » pour ce sujet ? 
Je ne pensais pas du tout avoir autant de réponses ! Je suis contente que des personnes se saisissent de cette thématique. J’ai eu beaucoup de témoignages et je remercie les personnes qui ont pris le temps de répondre à cette enquête. Je sais qu’il peut être difficile d’aborder ces sujets, en particulier lorsqu’on est concerné.e.

Je suis aussi étonnée des remerciements que des répondant.e.s m’ont laissés en fin de questionnaire : « Merci pour ce sondage. Il m’a servi et servira à d’autres personnes je pense. » Je n’avais pas mesuré l’utilité que ce questionnaire pourrait avoir pour certaines personnes.

Il a été partagé par de nombreuses personnes, des partenaires, des associations…C’est valorisant pour mon travail et ça donne envie de mettre en place des actions, les résultats prouvent qu’il y a un réel besoin.

Conseillère en économie sociale et familiale (CESF), Educatrice à la vie affective et sexuelle, Conseillère conjugale et familiale (CCF)… Vous avez plusieurs cordes à votre arc. De quelles manières toutes ces thématiques sont-elles reliées aux violences sexistes et sexuelles ? Les abordez-vous de manière intersectionnelle ?
Je vois ces différentes formations comme une continuité, ce qui m’a amené à m’orienter et à me spécialiser sur ces questions. Toutes ces formations ont été complémentaires. Leur point commun est avant tout l’écoute bienveillante et non jugeante.

Lors de ma formation de CESF (travailleuse sociale), la thématique des violences sexistes et sexuelles était très peu abordée. J’ai été confrontée cependant lors de mes premiers entretiens en stage à la thématique des violences. Il me parait important que les travailleur.ses sociaux soient formé.e.s à ces thématiques. En tant qu’éducatrice à la vie affective et sexuelle, nous pouvons notamment animer des stands de prévention sur les thématiques liées aux sexualités et aux violences. 

Un.e CCF détient plusieurs compétences complémentaires qu’elle peut mettre en place dans la prévention et la prise en charge des violences sexistes et sexuelles en milieu festif comme l’accueil, l’écoute active et l’accompagnement des personnes rencontrées, la conduite de projet qu’elle peut développer en proposant un dispositif de prévention et de prise en charge de ces violences en milieu festif par exemple. Toutes ces actions, je les mène en m’appuyant sur un travail en équipe (avec mes collègues et avec les militant.e.s du Planning Familial de la Gironde) ainsi qu’avec nos partenaires.

Mon approche professionnelle a donc gagné, si je puis dire, en intersectionnalité au fil du temps. Je pense que cela définit aussi mon militantisme féministe.

Les violences sexistes et sexuelles sont, encore aujourd’hui, majoritairement traitées sous un angle exclusivement préventif. En quoi ce n’est pas suffisant ? 
Je pense qu’il est important de traiter les deux que ce soit en prévention et en particulier par l’éducation qui me parait essentiel. Depuis 2001, il est écrit dans la loi qu’« Une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène ». On observe que globalement cette loi n’est pas appliquée. Dans ces séances, nous abordons la question des violences. Je pense que si toutes les personnes pouvaient bénéficier de ces 3 séances par an au cours de leur scolarité, cela permettrait de réduire les violences et cela permettrait une meilleure intégration de la notion de consentement par touste. Par ailleurs, il faut faire attention lorsqu’on parle de prévention : ce n’est pas aux victimes de changer leurs comportements mais bien aux potentiels auteurs de violences de ne pas les commettre.

Concernant la prise en charge, il me paraitrait important d’apprendre à chaque personne la posture à adopter face à une personne victime de violences sexuelles (on en revient à l’éducation). Et pourquoi pas l’intégrer aux formations aux 1ers secours !

Le viol est un crime. Seulement, on a l’impression qu’il n’est pas pris en charge comme tel que ce soit d’un point de vue médical, judiciaire… C’est un acte souvent minimisé, dont la véracité est très souvent remise en doute et pour lequel les classements sans suite sont fréquents. Dans l’étude que je mène, à la question « Si tu as été victime d’une situation de violences sexistes, sexuelles ou conjugales en milieu festif, qu’est-ce qui a été mis en place ? », les réponses les plus données sont « J’en ai parlé à des proches » ou « rien ». A la question « En cas de situation de violences sexuelles, te saisirais-tu d’un de ces dispositifs? » Parmi 3 propositions, 80% des répondant.e.s iraient dans une « safe zone », zone de bien-être et de sécurité où des professionnel.le.s accueillent, écoutent et orientent les victimes et témoins de violences. Seul 8.6% des personnes ne se saisiraient d’aucune des propositions. Ceci montre un besoin également de prise en charge de ces violences spécifiques.

Le Planning Familial 33 ambitionne de mettre en place des actions en milieux festifs, selon un protocole qui s’inspire du plan SACHA, en Belgique. Quels en sont les grands axes ? 
L’objectif de ce protocole serait de réduire les violences sexistes, sexuelles en milieu festif, favoriser le repérage et la prise en charge des situations de violences. Ses 4 axes seraient la communication, la prévention, la formation et la prise en charge.

→ Axe communication : Instaurer un climat safe et sensibiliser le public à la thématique des violences en proposant une communication ciblée sur cette thématique en amont et pendant l’évènement avec la mise en place d’une campagne d’affichage, la création d’autocollants, d’affiches, de bannières, de vidéos

→ Axe prévention :

– Sensibilisation du public aux situations de violences sexistes et sexuelles grâce à la mise en place d’un stand de prévention

– Proposer au public un « parcours » constitué d’activités (outils ludiques) permettant de sensibiliser au harcèlement et de devenir « festivalier.e.s ressources » identifié.e.s via un badge par exemple

→ Axe formation : Sensibiliser les équipes salariées et bénévoles des milieux festifs en proposant des formations adaptées

→ Axe prise en charge : Permettre une prise en charge globale des situations de violences en milieu festif avec :

– La création d’une « zone sans relou » ou « safe zone », zone de bien-être et de sécurité où des professionnel·le·s accueillent, écoutent et orientent les victimes et témoins de violences sexistes, sexuelles et / ou de violences conjugales.

– Un numéro de téléphone visible partout dans le festival pour joindre les professionnel.le.s présent.e.s dans cette zone durant ses heures d’ouverture.

– Des outils spécifiques permettant de prendre en charge une situation de violences dans un lieu festif : l’ensemble des bénévoles, salarié.e.s et intermittent.e.s présents sur le lieu festif recevrait un document résumant ce protocole

Et éventuellement la proposition d’une « homologation » pour les établissements festifs et festivals mettant en place ce protocole.

Dans l’étude que je mène, je questionne ces différentes propositions pour mesurer la pertinence de chaque action avant de les mettre en place. Nous pensons proposer ce protocole à tout milieu festif : salle de concert, boite de nuit, soirée étudiante, festivals… en Gironde voire en Nouvelle-Aquitaine. C’est un projet assez ambitieux donc nous aimerions l’expérimenter dans un premier lieu afin de le décliner.

L’un des enjeux de la prévention et de l’encadrement des violences sexistes et sexuelles en milieux festifs, c’est la formation à plusieurs échelles, notamment celle des bénévoles. Comment former convenablement ces équipes, qui sont en première ligne durant les événements ? 
Nous proposons au Planning Familial des formations à destination des bénévoles et aussi auprès de jeunes et professionnel.le.s relais. Le Planning Familial est une association d’éducation populaire.

Nous proposons des formations « théoriques » où la réflexion collective est privilégiée grâce à des techniques d’animation de groupe et des outils d’éducation populaire interactifs et ludiques favorisant l’échange entre participant.e.s et le partage des connaissances. Ces temps de formations sont complétés sur le « terrain » en co-formation lors de nos permanences, de nos animations…

L’important, c’est d’être à l’écoute des personnes, de ne pas être dans le jugement, ne pas remettre en question la parole des victimes, respecter les choix de la personne (par exemple de ne pas porter plainte)… Il faut également connaitre ses limites, être en capacité d’orienter et de passer le relai si besoin.

Dans le cadre des actions du Planning Familial, les freins sont-ils davantage financiers ou idéologiques ?
  
Dans le questionnaire que j’ai adressé aux CCF, les freins qui ressortent pour mettre en place ce type d’actions sont le manque de temps, les moyens humains insuffisants et les freins financiers. C’est également le ressenti que j’ai dans le cadre des actions du Planning Familial.

Propos recueillis par Agathe Petit