Des espaces festifs safe pour tou.te.s avec Zone Rouge !

Des espaces festifs safe pour tou.te.s avec Zone Rouge !

« Nous sommes un collectif composé de femmes racisées et queer. Notre volonté est de mettre en avant les minorités, mais aussi de les protéger sur le dancefloor pour que les évènements que nous organiserons à l’avenir soient une bonne expérience pour toutes et tous ».

Anaïs Chenot


Militante anti-racistes, anti-homophobes et anti-transphobes, Anaïs Chenot a créé avec Anaëlle Saas le projet politique féministe Zone Rouge, engagé dans la lutte contre les discriminations envers les minorités et pour la valorisation de la place des personnes racisées et des membres de la communauté LGBTIQA+ au sein de la scène culturelle nantaise. Rencontre.

Bonjour, pouvez-vous nous dire quelques mots sur vous et votre parcours ?

Je m’appelle Anaïs Chenot, j’ai 26 ans et j’habite aujourd’hui à Nantes. Je suis née en banlieue parisienne et j’y ai grandi. Ma famille est dans la musique, j’ai donc baigné dans ce milieu depuis ma naissance.

À18 ans, j’ai décidé de me professionnaliser dans la culture et j’ai fait mes études à Paris. Pendant ces études, j’ai fait un Erasmus à Berlin où j’ai découvert le secteur des musiques électroniques. Avant cela, j’étais plus dans le reggae, le rock, dans la culture musicale plus mainstream. Quand je suis arrivée à Berlin et ça a été une révélation ! J’ai découvert une scène musicale différente de celle que j’avais pu voir à Paris, beaucoup plus inclusive des minorités de genre et raciales… Et j’ai aussi été très marquée en tant que femme par la sécurité sur le dancefloor.

Quand je suis revenue en France, je me suis installée à Nantes où j’ai commencé à travailler en tant que Chargée du vestiaire au Macadam, une boîte de nuit de culture électronique. J’y étais tous les week-ends pendant un an et c’est là-bas que j’ai rencontré Anaëlle Saas, qui travaillait comme Graphiste et Chargée de la communication du Macadam au sein du collectif Androgyne.

C’est avec Anaëlle que vous avez créé le collectif Zone Rouge, pouvez-vous nous en parler ?

Nous n’étions presque que des filles à travailler à l’accueil du club : à l’entrée, au vestiaire, au bar… mais en revanche « les décisions artistiques » étaient contrôlées par des hommes. Nous avons ainsi commencé à nous demander pourquoi il n’y avait que des hommes pour prendre les décisions artistiques et derrière le DJ booth, pourquoi ce n’était pratiquement que des hommes blancs qui étaient programmés au Macadam.

Nous nous demandions pourquoi, même bien intégrées, nous restions toujours les petites mains, les femmes dans l’ombre. C’est pour pouvoir valoriser le rôle des femmes, améliorer la prévention des agressions dans le milieu nocturne et par envie de se regrouper que nous avons créé ce projet.

C’est donc à la fois en tant que DJ, employées et public de club que nous avons créé Zone Rouge en 2019. Nous sommes aujourd’hui 7 DJ résidentes : Anaëlle (Aasana), Tina Tornade, Matilda, Akira, Lizzie, Super Salmon et moi (Soa). Il y a également une quinzaine d’autres membres qui nous apportent un soutien moral et artistique et avec lesquelles nous partageons nos expériences nocturnes.

Lorsque l’on travaillait au Macadam, cela nous dérangeait que les femmes et les minorités dans le public soient livrées à elles-mêmes et ne soient pas forcément accompagnées jusqu’au bout quand elles subissaient des violences. Zone Rouge a pour but la valorisation et la mise en avant de femmes artistes, mais aussi venant de minorités, de genre ou raciales, et également la prévention sur le dancefloor des publics qui peuvent être sujets à des agressions ou des micro-agressions car nous voulons que cela cesse.

Vous parlez de micro-agressions, pouvez-vous nous expliquer ce concept ?

Les micro-agressions sont des comportements ou des propos d’apparence banale qui sont en fait dirigées contre une communauté, ce peut être des comportements péjoratifs ou même des insultes. Pour les personnes non concernées, c’est parfois difficile à comprendre car certains agissements peuvent être perçus comme un compliment.

Par exemple, à titre personnel et en tant que femme racisée, on me demande souvent d’où je viens « vraiment » ! Et depuis mon enfance, les gens se permettent de me toucher les cheveux, comme si j’étais un objet ou un animal. J’ai mis énormément de temps à comprendre pourquoi cela me dérangeait, qu’il s’agissait d’une micro-agression. Ce sont l’éducation, l’échange et la déconstruction des mentalités qui permettront de faire évoluer les choses.

Avez-vous l’impression que le mouvement Black Lives Matter aide justement à cette prise de conscience, comme #Meetoo a pu aider à une prise de conscience de la condition des femmes ?

C’est évident ! Nos communautés peuvent enfin s’exprimer de manière publique sans que l’impact des traumatismes subis ne soit minimisé. Ce mouvement a permis de rendre ce sujet mainstream dans les médias et sur la scène politique. Il y a encore du boulot, mais heureusement ces initiatives permettent aux personnes des communautés concernées de s’exprimer enfin publiquement.

Pour moi, ce n’est pas la parole qui s’est libérée mais l’écoute.

Concrètement, quelles sont les actions que Zone Rouge met en place ?

Comme nous avons créé Zone Rouge en 2019, notre élan s’est malheureusement vite arrêté avec la crise sanitaire et nous n’avons pu organiser qu’une seule soirée en août 2020. Pour valoriser nos valeurs, nous avons programmé un line-up 100% féminin, c’est-à-dire composé exclusivement d’artistes femmes, ce qui est très rare, voire inexistant à Nantes. Depuis, Anaëlle et moi avons continué en virtuel avec une émission sur une webradio locale nantaise, Radio DY10.

Nous invitons des DJ femmes de toute la France à jouer un set d’une heure avec nous. À Paris, il existe des collectifs 100% féminins, mais il y en a très peu en province. Le fait d’inviter ces femmes artistes permet de se rendre compte qu’il y a une scène de femmes artistes en France, mais qu’elles sont moins mises en valeur que leurs homologues masculins.

Nous sommes par ailleurs un collectif naturellement engagé parce que notre identité même est « politique ». Être des femmes dans le milieu nocturne est un engagement quotidien pour pouvoir se faire entendre. Notre collectif est également un collectif composé de femmes racisées et queer. Notre volonté est de mettre en avant les minorités, mais aussi de les protéger sur le dancefloor pour que les évènements que nous organiserons à l’avenir soient une bonne expérience pour toutes et tous. Nous aimerions donc mettre en place de la sensibilisation. En tant qu’actrices des musiques actuelles à Nantes, nous avons décidé de ne plus nous taire sur les choses qui nous dérangent. Nous avons décidé de prendre la parole pour sortir de ce modèle d’artistes et de programmateurs presque exclusivement composé d’hommes blancs, cisgenres et hétérosexuels.

Quel mot résume les engagements de Zone Rouge ?

Je dirais « intersectionnalité ». Nous parlons de féminisme intersectionnel car nous voulons vraiment protéger toutes celles qui se sentent femmes, sans exclure les personnes non-binaires ou transgenres (ndlr : Une personne non-binaire ne s’identifie ni homme ni femme alors qu’une personne trans est une personne dont le genre ressenti ne correspond pas à son sexe de naissance, et qui peut envisager de changer de sexe).

Avec Zone Rouge, nous prenons en compte l’accumulation des discriminations : le parcours d’une femme lesbienne n’est pas le même que le parcours d’une femme hétérosexuelle, le parcours d’une femme racisée n’est pas le même parcours que celui d’une femme blanche. Cette convergence des luttes nous tient vraiment à cœur.

Quel accueil recevez-vous depuis la création de votre collectif ?

Au tout début, quand nous avons créé le collectif, les gens autour de nous étaient assez perplexes. Nous avons eu des commentaires du type « Pourquoi créer un groupe exclusivement avec des femmes ? », « C’est refaire la même erreur qu’avec les hommes », « C’est très communautariste », mais très rapidement les gens se sont rendus compte que notre démarche était pour l’égalité et la parité.

Comme nous sommes nombreuses à avoir travaillé au Macadam, nous connaissons et sommes proches de nombreux collectifs masculins à Nantes. Étant des hommes, ils n’avaient pas pris conscience du problème, mais nous ont très vite accompagnées et soutenues dans notre démarche. Des medias de musique électronique ont également mis en avant notre collectif.

Nous sommes assez contentes de constater qu’il y a vraiment quelque chose qui change en ce moment dans les mentalités, que ce soit pour les femmes, pour les minorités de genre et les minorités raciales. En revanche sur Internet, les commentaires d’inconnus cachés derrière leur écran peuvent être très violents.

Vous nous avez parlé de Berlin, quelle différence avez-vous constatée sur la sécurité des femmes et des minorités dans les lieux festifs, entre l’Allemagne et la France ?

Berlin est une ville qui essaie de ne pas oublier l’origine du développement des musiques électroniques au sein des communautés LGBTIQA+ (ndlr : lesbiennes, gays, bisexuelles, trans, queers, intersexes et asexuelles). Il y a un vrai travail réalisé à l’entrée par les physionomistes pour que la soirée soit safe. Le service de sécurité joue un vrai rôle de prévention et d’anticipation pour protéger le public de toutes les formes de violences alors qu’en France, ce n’est clairement pas encore la règle partout. Il est pourtant indispensable que le personnel en charge de la sécurité des lieux festifs soit spécialement formé pour savoir gérer des situations d’agression avec les victimes et les agresseurs.

Vous avez suivi une formation Ici, c’est cool, quel a été votre sentiment ?

Avec Anaëlle, nous souhaitions en apprendre encore plus sur comment protéger le public ! Nous étions très contentes de pouvoir rencontrer des institutions culturelles nantaises et d’échanger sur la prévention des agressions sexuelles, homophobes ou racistes. Cela nous a permis d’en apprendre plus sur comment, très concrètement, il est possible de trouver des solutions sur le terrain pour que les choses s’améliorent.

Zone Rouge a les mêmes valeurs qu’Ici c’est cool et ça a vraiment été un plaisir de participer à cette formation.

Que pensez-vous de la campagne Ici c’est cool ?

Je la trouve très bien. Je dirais même importante et indispensable. Le sexisme, l’homophobie, la transphobie et le racisme sont des causes auxquelles je suis sensible depuis des années. Comme je le disais, la plupart du temps, les institutions culturelles sont dirigées par des hommes blancs hétéros cisgenres qui, jusqu’à récemment, ne se préoccupaient pas ou peu de ces problématiques. La campagne Ici c’est cool a donné une légitimité à ces problématiques et a permis d’arrêter de minimiser ces violences.

Que peut-on souhaiter à Zone Rouge pour l’avenir ?

Nous avons hâte de pouvoir créer et organiser des soirées. Nous aimerions que toutes les DJ résidentes de Zone Rouge puissent s’exprimer musicalement et mettre encore plus en valeur les femmes dans les line-up. Et bien entendu, accompagner nos publics dans leurs expériences de clubbing et de les protéger jusqu’au but pour que chacun et chacune passe une bonne soirée.

À plus long terme, nous aimerions monter une agence de booking pour pouvoir mettre en valeur les femmes artistes et pourquoi pas un label pour produire des morceaux. Ce ne sont pas les envies qui manquent !

Propos recueillis par Fabienne Jacobson